15 décembre 2006

GENOCIDE AU RWANDA : la France empêtrée dans sa complicité

En 1998, plusieurs articles du journaliste Patrick de St Exupéry dans Le Figaro et le travail de plusieurs associations conduisent à l’ouverture d’une mission d’information parlementaire sur le rôle de la France dans le génocide. C’est à ce moment que le juge Bruguière est saisi d’une plainte concernant l’attentat contre l’avion du dictateur Habyarimana. Cette procédure judiciaire a notamment permis que Paul Barril, ex-super gendarme de l’Elysée toujours très lié aux services secrets et qui était sous contrat avec les génocidaires pendant le génocide, ne soit pas entendu par la mission parlementaire.

Le rapport Bruguière, périodiquement annoncé comme imminent depuis 2000, sert à faire diversion par rapport à la question de la complicité de la France, comme en 2004 sous le plume de Stephen Smith (Le Monde), au moment de la 10ème commémoration du génocide. Dans la propagande négationniste, activement relayée en France et dont Pierre Péan constitue un bon exemple, il s’agit même d’inverser les responsabilités selon le grossier syllogisme suivant : l’attentat contre Habyarimana a « déclenché » le génocide ; or Kagame est responsable de l’attentat, donc c’est lui le véritable responsable du génocide. Evacuée la question de la planification du génocide par le clan Habyarimana, absous les véritables génocidaires et leurs complices. La responsabilité du FPR est une hypothèse parmi d’autres, mais ce n’est pas la plus pertinente. D’autres hypothèses plus crédibles mettent en avant le rôle joué par la fraction la plus extrémiste du régime rwandais, voir la participation de mercenaires français. Dans son rapport, Bruguière évacue rapidement des éléments pourtant attestés par la mission d’information parlementaire ou le TPIR (tribunal pénal international sur le Rwanda) et qui laissaient ces pistes ouvertes. Il s’appuie principalement sur les militaires ou les services français ou des personnages douteux manipulés par eux. En fait, il n’a mené aucune enquête. Il ne fait que collecter sans éléments nouveaux une version condensée de tous les contre-feux allumés pour relativiser la responsabilité du régime dans le génocide.

Le Rwanda a mis en place une commission d’enquête publique sur la responsabilité française dans le génocide, dont la presse commence à se faire l’écho. Et plusieurs rescapés rwandais ont déposé des plaintes devant le Tribunal aux Armées de Paris qui vont finalement devoir être traitées. Mais la rupture des relations diplomatiques avec le Rwanda tombe à pic, la juge chargée de l’enquête ne pourra se rendre sur place pour entendre les témoins. Dans l’Humanité du 9 décembre, Jean Chatain évoque à juste titre l’hypothèse que la relance de la polémique par le rapport Bruguière a rapport avec la campagne présidentielle qui vient. Empêcher les témoignages de militaires français, bloquer l’enquête sur les plaintes des rescapés, tout cela arrange bien les deux camps opposés autour de Royal et Sarkosy-Villepin, aux affaires conjointement en 1994. On évitera ainsi des interférences dangereuses pour les envolées lyriques sur le rôle prépondérant de la République française dans l’ordre juste du monde. De son côté, Bruguière annonce qu’il sera candidat aux prochaines législatives sous l’égide de Sarkozy. Apolitique, bien sûr.

La France est isolée. Le Rwanda a réagi fortement, mettant en cause la politique néocoloniale française, accusant Villepin et bien d’autres politiques français d’avoir des responsabilités qu’ils veulent cacher, promettant de mener du Rwanda une enquête réciproque et des poursuites judiciaires en riposte. Le Rwanda a été soutenu par tous les pays de la zone est-africaine, jusqu’au principal dirigeant du parti politique au pouvoir au Burundi, ancienne guérilla hutu qui a renoncé à la guerre, qui soutient Kagamé face à la France. En tournée en Afrique du Sud, De Villepin a été boudé par tout le monde, Thabo Mbeki comme Mandela, qui avait un rendez-vous familial... Il est allé seul à Soweto, et a écourté son voyage de 48 H.

A nous de faire entendre une autre voix, en France, pendant les campagnes électorales, aux côtés des rescapés du génocide et de tous ceux qui luttent pour que vérité soit faite sur le rôle de la France au Rwanda en 1994.

Afriques en lutte, décembre 06