Depuis septembre 2002, à l’issue d’un coup d’État manqué contre le président Gbagbo, la Côte-d’Ivoire est coupée en deux, la partie nord étant contrôlée par la rébellion des Forces nouvelles, et celle du sud par le gouvernement de Gbagbo. L’accord de Ouagadougou règle les questions décisives des élections, de l’armée et du gouvernement, et marque une évolution radicale de la situation.
Il prévoit la préparation d’élections libres et transparentes, ce qui nécessite l’identification des Ivoiriens par la mise en place d’audiences foraines (hors des murs d’un palais de justice) qui permettront la délivrance de cartes nationales d’identité, et donc la possibilité de s’inscrire sur les listes électorales. L’accord prévoit la fusion de l’armée ivoirienne avec l’armée des Forces nouvelles et la mise en place d’un gouvernement de transition accompagné de la création d’un cadre permanent de concertation ouvert aux deux principaux partis politiques, celui de l’ancien chef de l’État, Konan Bédié, et celui de l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara. L’accord vise à la réunification du pays par le démantèlement de la « zone de confiance », entre le nord et le sud, occupée par les forces de l’ONU et les 4 000 soldats français de l’opération « Licorne ».
Quelques jours après la signature de l’accord, le dirigeant de la rébellion, Guillaume Soro, a été nommé Premier ministre. Beaucoup estiment que cet accord va perdurer car il a été proposé par le président Gbagbo. Il met fin à une situation complètement bloquée, où aucune des deux parties ne pouvait prendre l’avantage. Ce traité, contrairement à ceux de Linas-Marcoussis, d’Accra ou de Pretoria, et aux deux résolutions de l’ONU, a l’avantage d’être le fruit d’un accord direct entre Ivoiriens, soulignant que ce sont les Ivoiriens eux-mêmes qui ont été capables de régler la crise. Ainsi la France a-t-elle été mise hors-jeu pour le règlement du conflit. Il est d’ailleurs frappant de constater que l’Union africaine et l’ONU ont rapidement émis des communiqués de félicitation alors que la France est restée muette, se contentant, par la voix de la ministre déléguée à la Coopération, Brigitte Girardin, de se satisfaire de cet accord lors de différentes interviews dans les médias.
Gbagbo sort bénéficiaire de cet accord. Il apparaît comme le promoteur de la paix, le garant de l’indépendance nationale, et il marginalise ses deux principaux rivaux politiques, Bédié et Ouattara. De plus, Guillaume Soro, son nouveau Premier ministre, âgé de 34 ans, ne pourra se présenter à l’élection présidentielle car il n’a pas les quarante ans requis par l’article 35 de la Constitution.
L’accord représente un soulagement pour les populations qui ont vu leurs conditions de vie se dégrader, avec des services publics inexistants au Nord et inefficients au Sud. C’est aussi l’espoir de revenir à un minimum d’État de droit. L’état de guerre permanent dans lequel vit le pays depuis cinq ans a, en effet, autorisé l’arbitraire des groupes armés sur les populations, allant du simple racket aux exécutions par des escadrons de la mort proches du pouvoir. Amnesty International dénonce dans un mémorandum les violences sexuelles exercées contre les femmes par toutes les parties armées, côté gouvernemental ou côté Forces nouvelles : « L’ampleur des viols et des violences sexuelles commis au cours du conflit armé en Côte d’Ivoire a été largement sous-estimée. Un grand nombre de femmes ont été violées par plusieurs combattants ; beaucoup ont été enlevées et réduites à l’esclavage sexuel. Ces viols ont souvent été accompagnés de coups ou de torture (y compris des tortures de nature sexuelle). Des viols ont été commis en public et devant des parents de la victime, notamment des enfants en bas âge. Certaines femmes ont été violées près des cadavres de membres de leur famille. »
Si les accords de Ouagadougou créent une nouvelle situation dans le pays, ils ne règlent pour autant pas les problèmes de fond, notamment la question foncière. Les différentes politiques d’ajustement structurel et de privatisation de l’économie ivoirienne menées au cours des années 1990 ont précipité le pays dans une crise sans précédent. Simultanément, tous les dirigeants politiques ont tenu, à un moment ou à un autre, des discours xénophobes et ethnicistes conduisant au déchirement du pays. En Côte-d’Ivoire, comme ailleurs, politique libérale et démagogie sur l’identité nationale mènent les peuples à la catastrophe.
Paul Martial