12 février 2008

Enterrer la françafrique ?

Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat chargé de la Coopération et de la francophonie, a fait sensation lors de la présentation de ses vœux pour la nouvelle année. Il a déclaré vouloir « signer l’acte de décès de la Françafrique », et de dénoncer « la prédation de certains dirigeants », « une minorité [qui] mène un train de vie luxueux ». Il ne s’agissait bien sûr pas de Nicolas Sarkozy, mais des traditionnels amis de la France producteurs de pétrole. « Est-il légitime que notre aide au développement soit attribuée à des pays qui gaspillent leurs propres ressources ? », s’interrogeait encore Bockel. Les intéressés, qui se sont reconnus, notamment Bongo, Sassou et Biya, ont immédiatement protesté auprès de l’Elysée, le dirigeant gabonais menaçant même de se tourner vers « des partenaires plus respectueux de la dignité [des] peuples et de la souveraineté [des] Etats ». « Il y a encore trop de rentes de situation, trop d'intermédiaires sans utilité claire, trop de réseaux parallèles » déclarait encore Bockel au journal Le Monde.

Certes, de telles déclarations sont une nouveauté de la part d’une personnalité politique en fonction, surtout en charge de la coopération et de la francophonie : elles étaient traditionnellement réservées à la période électorale. Mais Sarkozy nous a habitué à la campagne électorale permanente. Les déclarations de Rama Yade et de Kouchner à l’occasion de la venue de Kadhafi en France avaient aussi démontré qu’une certaine liberté de parole était autorisée, voire encouragée : ça permet toujours de ratisser large. En outre, Bockel s’est empressé de rassurer les offusqués : on l’aura mal compris, il ne visait personne, il n’est pas un « intégriste de la transparence », il n’est pas « contre les émissaires, disons, parallèles ; je sais que le secret est parfois nécessaire ». Cerise sur le gâteau : il sait « qu'on ne décalquera pas du jour au lendemain notre morale en Afrique. » Rien de nouveau donc du côté de la bonne conscience néocoloniale et raciste.

On sera donc plus attentif à la réalité des actes qu’aux proclamations de bonnes intentions. Du côté des travaux pratiques, Bockel a raté une excellente occasion de mettre en lumière « la prédation de certains dirigeants ». On ne l’a pas beaucoup entendu au moment de la crise tchadienne, quand ses collègues et son patron tentait de nous peindre le régime tchadien en modèle de vertu. Pensez donc ! un gouvernement « légitime », « sorti des urnes », affirmait Sarkozy. « Idriss Deby est un président élu, élu deux fois même » renchérissait Kouchner. A ce compte là, Biya, Bongo ou Sassou dont on ne comptera bientôt plus le nombre de « réélections » ne sont pas simplement des démocrates, ils sont l’incarnation même de la démocratie !

Plaisanterie mise à part et plus fondamentalement, il y a malgré tout du nouveau concernant l’impérialisme français. Depuis quelques années (en gros depuis le génocide au Rwanda, qui aurait « traumatisé » l’armée française selon certains journalistes, et depuis la réforme de la coopération militaire qui a suivi en 1997-1998), on tente de nous faire prendre un ravalement de façade pour un changement de logique. Certains milieux politiques, militaires et même économiques ont conscience que l’image maintenant assez communément admise – en France et en Afrique - d’une France néocoloniale et des pratiques maffieuses de la Françafrique nuisent à la préservation des intérêts français (intérêts économiques et stratégiques). D’où les efforts répétés pour changer cette image, mais l’image seulement : pour nous expliquer que la coopération militaire française est désormais au service du Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix (dispositif Recamp), pour nous convaincre que les interventions militaires unilatérales sans mandat international sont révolues, et pour embarquer les partenaires européens aux côtés de nos armées. De ce point de vue, la gestion de la crise tchadienne par l’Elysée a été une réussite médiatique : afficher un soutien politique à Déby, mais une vertueuse neutralité dans les combats, le tout sanctifié par une résolution du conseil de sécurité. « Ces images tournées par l'armée française le prouvent, s’enthousiasmait France 2 sans crainte du ridicule, quand les forces tricolores croisent les rebelles, elles observent une stricte neutralité. » Heureusement, quelques journalistes se souviennent que c’est hors champ des images fournies par le Sirpa que commence leur travail. Et ici, force est de constater que les vieilles pratiques ont la vie dure…

Robin Guébois