Kigali. 6 avril 1994. 20 h 25. L’avion présidentiel rwandais est abattu. J. Habyarimana et C. Ntaryamira, présidents du Rwanda et du Burundi, sont tués. Un quart d’heure plus tard, des barrages à tous les carrefours filtrent les Tutsi (la mention figure sur les cartes d’identité) et les exécutent sur place. En quelques mois, plus d’un million de personnes seront exterminées.
C’est la riposte d’un régime aux abois depuis un certain temps. Poursuivant la politique de la 1ère République en l’aggravant, le pouvoir rwandais gouvernait par la terreur. Dès octobre 90, janvier-février 91, mars, août, décembre 92, février, octobre 93, les massacres pré-génocidaires se succèdent. Les survivants, condamnés à l’exil, trouvent refuge au Burundi et en Ouganda où ils rejoignent la première génération, refugiée après les violentes répressions de 1959 et 1963 et qui a tenté à plusieurs reprises de reprendre pied au Rwanda. Mais c’est le 1er octobre 1990 que le bras armé des réfugiés, Front patriotique rwandais (FPR) lance, depuis l’Ouganda, une grande offensive au nord-est du Rwanda. Dans la nuit du 4 au 5 octobre, une fausse attaque de Kigali mise en scène par le commandement rwandais sert de prétexte à F. Mitterrand et à l’état-major français pour soutenir militairement les Forces armées rwandaises (FAR). Appuyés par les belges et les zaïrois de la garde spéciale présidentielle, ils leur épargneront par deux fois la déroute. C’est l’opération Noroît. Confronté à une opposition intérieure de plus en plus forte, contraint par l’ONU de démocratiser son régime et de négocier avec le FPR, Habyarimana enclenche, chaque fois que la négociation est inévitable, le cycle infernal : massacres de Tutsi, offensive du FPR, représailles… signant d’une main les accords de cessez-le-feu (à Arusha, Tanzanie), lançant de l’autre des organes de propagande appelant au meurtre (la radio RTLM, le bimensuel Kangura).
Il n’est pas seul à s’asseoir sur les accords d’Arusha. L’accord d’assistance militaire franco-rwandais de juillet 1975 ne concernant que la gendarmerie, un avenant de 1992 l’étend à toute l’armée. Paris régularise ainsi après coup son intervention et permet à ses forces spéciales de rester au Rwanda en dépit des accords d’Arusha. De 1990 à 1994, l’Etat français va mener sa « guerre secrète ». Formation de miliciens, de commandos et d’escadrons de la mort, fourniture d’armes, incitation à la constitution de la mouvance Hutu Power, instruction de la garde présidentielle, conseil de la présidence direction de fait de l’état-major, les Français sont aux commandes. Pendant le génocide, la guerre continue. Des officiels du gouvernement génocidaire sont reçus à l’Elysée en avril, l’armée française organise le trafic d’armes, et après la déroute de leurs alliés exfiltre des responsables de haut rang et protège la fuite des tueurs au Zaïre pour préparer la revanche. Le Rwanda, déjà structuré depuis l’indépendance selon les préceptes de la « guerre révolutionnaire » (quadrillage administratif et territorial - jusqu’au pâté de maisons-, surveillance de la population à tous les niveaux) par des officiers belges formés à l’école française, a également servi de laboratoire pour le perfectionnement de cette doctrine militaire reposant sur les hiérarchies parallèles, les milices et la guerre psychologique. Appliquée à un pays acquis, après un siècle de propagande coloniale, à la fable raciale des étrangers « hamitiques » venus du Nord (les Tutsi) pour dominer les autochtones (les Hutu), la guerre franco-rwandaise contre l’ « ennemi intérieur » l’aura englouti dans l’épouvante.