Jacques Morel publie « Au secours des assassins ». Cette somme à paraître à L’esprit frappeur/Izuba fait le point sur les responsabilités françaises dans la catastrophe de 1994. Propos recueillis pour « Afriques en lutte » par Joëlle G.
Qu’avez-vous appris après la Commission d’enquête citoyenne (CEC) sur le rôle de l’Etat français dans le génocide de 1994 ?
La commission a d’abord été une occasion de rencontrer les personnes qui enquêtaient sur le génocide. C’est la seule fois que j’ai vu Colette Braeckman. J’ai appris deux choses essentielles.
1) La coopération directe entre les militaires français et les tueurs qui ressortait des reportages vidéos fraîchement ramenés par Georges Kapler pour la CEC. Un témoignage s’est révélé faux, mais le reste a été confirmé. Nous avons appris pire depuis.
2) L’existence de documents d’archives, présentés à la CEC par Medhi Ba qui ne font que confirmer ce que nous pressentions, la complicité française avec les tueurs.
Il semble que l’attentat contre l’avion présidentiel soit le fait de Français. Pourquoi ont-ils éliminé Habyarimana?
Il était jugé, usé et accusé d’avoir tout raté par l’ambassadeur Georges Martres (TD* du 11 mars 1993 publié par la MIP**). « Habyarimana est largement responsable du fiasco actuel », dit Pierre Joxe dans une note à Mitterrand du 26 février 1993.
Les dirigeants français soutiennent la CDR (Coalition pour la défense de la République) qui juge que les Tutsi sont des féodaux chassés en 1959 qui, depuis octobre 1990, tentent de reprendre le pouvoir. Jean-Bosco Barayagwiza et Ferdinand Nahimana, les deux inventeurs de la RTLM***, sont très appréciés tant à l’ambassade à Kigali qu’à l’Elysée. Les dirigeants français n’ont jamais été hostiles à Habyarimana. Leur ennemi, c’est le FPR**** et, comme on le lit dans des archives de l’Elysée dès 1990, les Tutsi. Ils ne supportent pas les accords d’Arusha, le partage des portefeuilles ministériels avec le FPR et surtout la fusion des deux armées. Le départ des troupes françaises le 15 décembre 1993 et l’arrivée des soldats belges est une couleuvre qu’on ne peut pas avaler à Paris. Habyarimana n’est plus la bonne carte. Il faut aider ces Hutu de la CDR qui aiment tant la France et détestent tant le FPR, les Tutsi et les accords de paix. À ce stade, certains se disent qu’ils font de la géopolitique pas de la morale. Si Voulet et Chanoine n’avaient pas tant massacré, Areva n’exploiterait pas l’uranium du Niger. Dans l’Histoire, il est des massacres utiles.
1) La coopération directe entre les militaires français et les tueurs qui ressortait des reportages vidéos fraîchement ramenés par Georges Kapler pour la CEC. Un témoignage s’est révélé faux, mais le reste a été confirmé. Nous avons appris pire depuis.
2) L’existence de documents d’archives, présentés à la CEC par Medhi Ba qui ne font que confirmer ce que nous pressentions, la complicité française avec les tueurs.
Il semble que l’attentat contre l’avion présidentiel soit le fait de Français. Pourquoi ont-ils éliminé Habyarimana?
Il était jugé, usé et accusé d’avoir tout raté par l’ambassadeur Georges Martres (TD* du 11 mars 1993 publié par la MIP**). « Habyarimana est largement responsable du fiasco actuel », dit Pierre Joxe dans une note à Mitterrand du 26 février 1993.
Les dirigeants français soutiennent la CDR (Coalition pour la défense de la République) qui juge que les Tutsi sont des féodaux chassés en 1959 qui, depuis octobre 1990, tentent de reprendre le pouvoir. Jean-Bosco Barayagwiza et Ferdinand Nahimana, les deux inventeurs de la RTLM***, sont très appréciés tant à l’ambassade à Kigali qu’à l’Elysée. Les dirigeants français n’ont jamais été hostiles à Habyarimana. Leur ennemi, c’est le FPR**** et, comme on le lit dans des archives de l’Elysée dès 1990, les Tutsi. Ils ne supportent pas les accords d’Arusha, le partage des portefeuilles ministériels avec le FPR et surtout la fusion des deux armées. Le départ des troupes françaises le 15 décembre 1993 et l’arrivée des soldats belges est une couleuvre qu’on ne peut pas avaler à Paris. Habyarimana n’est plus la bonne carte. Il faut aider ces Hutu de la CDR qui aiment tant la France et détestent tant le FPR, les Tutsi et les accords de paix. À ce stade, certains se disent qu’ils font de la géopolitique pas de la morale. Si Voulet et Chanoine n’avaient pas tant massacré, Areva n’exploiterait pas l’uranium du Niger. Dans l’Histoire, il est des massacres utiles.
L’armée française a appliqué au Rwanda la doctrine de la « guerre révolutionnaire ». Le Rwanda a-t-il servi de test ou n’est-ce qu’un moyen pour contenir l’« ennemi FPR-Ouganda » ?
Si cette doctrine a été appliquée au Rwanda, c’est surtout par les Belges. Par exemple, la notion de groupes d’auto-défense date du début des années 1960. À mon sens, cela ne saurait expliquer tout ce qui s’est passé. Et les Français n’ont pas attendu les colonels Trinquier et Lacheroy pour massacrer (voir Bugeaud, les Kanaks en 1878, la mission Voulet-Chanoine en 1899…) Il y a au Rwanda une idéologie génocidaire qui n’a pas été inventée par les militaires français mais par les missionnaires catholiques et mise en pratique par les Belges.
a) Définition de races tutsi, hutu…; supériorité des Tutsi. Invention de l’histoire de Tutsi (Hamites) venus d’Ethiopie. Ces idées sont inculquées via les écoles, toutes détenues par l’Eglise catholique, les livres et la presse.
b) Marquage ethnique sur des sortes de carte d’identité par les Belges (1931), élimination des chefs tutsi.
c) Devant les velléités d’indépendance de l’élite tutsi, les missionnaires soutiennent les Hutu au nom de la justice, ils inspirent le Manifeste des Bahutu et Mgr Perraudin, début 1959, déclare que les richesses du pays sont détenues par une même race.
La « révolution » de 1959 est organisée par les Belges. Ils soulèvent les Hutu contre leurs « colonisateurs ». En octobre 1990, les massacres de Tutsi reprennent comme en 1959 et une gigantesque rafle est organisée après la fausse attaque de la nuit du 4 au 5 (plus de 10000 arrestations).Ces massacres horrifient les Belges qui retirent leurs troupes envoyées pour protéger leurs ressortissants et soutenir Habyarimana. Grâce à ces massacres, la France prend la place des Belges. Bien sûr des techniques de Trinquier-Lacheroy ont été appliquées. Mais c’est loin d’expliquer tout. Les mentions ethniques que la France n’a pas fait enlever sur les cartes d’identité c’est du Trinquier-Lacheroy? Non c’est du nazisme, du pétainisme, du racisme éradicateur. L’utilisation de la radio pour pousser les gens à tuer, c’est quelque chose de totalement original.
a) Définition de races tutsi, hutu…; supériorité des Tutsi. Invention de l’histoire de Tutsi (Hamites) venus d’Ethiopie. Ces idées sont inculquées via les écoles, toutes détenues par l’Eglise catholique, les livres et la presse.
b) Marquage ethnique sur des sortes de carte d’identité par les Belges (1931), élimination des chefs tutsi.
c) Devant les velléités d’indépendance de l’élite tutsi, les missionnaires soutiennent les Hutu au nom de la justice, ils inspirent le Manifeste des Bahutu et Mgr Perraudin, début 1959, déclare que les richesses du pays sont détenues par une même race.
La « révolution » de 1959 est organisée par les Belges. Ils soulèvent les Hutu contre leurs « colonisateurs ». En octobre 1990, les massacres de Tutsi reprennent comme en 1959 et une gigantesque rafle est organisée après la fausse attaque de la nuit du 4 au 5 (plus de 10000 arrestations).Ces massacres horrifient les Belges qui retirent leurs troupes envoyées pour protéger leurs ressortissants et soutenir Habyarimana. Grâce à ces massacres, la France prend la place des Belges. Bien sûr des techniques de Trinquier-Lacheroy ont été appliquées. Mais c’est loin d’expliquer tout. Les mentions ethniques que la France n’a pas fait enlever sur les cartes d’identité c’est du Trinquier-Lacheroy? Non c’est du nazisme, du pétainisme, du racisme éradicateur. L’utilisation de la radio pour pousser les gens à tuer, c’est quelque chose de totalement original.
Comment expliquer l’hostilité des Français au régime Museveni?
Elle n’est pas fondamentale. Mitterrand n’a pas de sympathie pour lui mais pas d’hostilité. Le prétexte est l’anglophonie. C’est totalement bidon puisque le Rwanda n’a jamais été francophone. Museveni est un mauvais exemple parce qu’il n’a pas demandé l’autorisation à Paris, qui appréciait Idi Amin Dada, pour prendre le pouvoir. Museveni est dangereux parce qu’il est, au moins à l’époque, un bon chef d’Etat. Contrairement à l’Afrique de l’Ouest, la France n’a pas une attitude offensive vis-à-vis des anciennes colonies anglaises (Ouganda, Tanzanie). Elle ne cherche qu’à mettre la main sur les anciennes colonies belges, essentiellement le Congo-Zaïre. Elle ne souhaite que la neutralité des voisins anglophones. Les dirigeants français savent très bien que le conflit est une guerre civile, pas une guerre d’agression étrangère. Mais ils feignent de croire ce que leur dit la DGSE, que c’est la NRA, l’armée ougandaise qui attaque le Rwanda. Il est indubitable que le FPR a des appuis en Ouganda mais c’est un mouvement politico-militaire rwandais.
* Télégramme diplomatique
** Mission d’information parlementaire
*** Radio Télévision Libre des Mille Collines, du Hutu Power
**** Front patriotique rwandais, parti créé par les exilés Tutsi