14 avril 2000

La fin de 40 ans de parti-Etat - Le Sénégal après Diouf

Abdou Diouf et son parti ont été battus au second tour de l'élection présidentielle, le 19 mars dernier. Une première pour le Sénégal.
Le 2e tour de l'élection présidentielle, le 19 mars dernier, a surpris tout le monde, tant par l'ampleur de la victoire du candidat Abdoulaye Wade (58,50% des voix) que par le fair-play d'Abdou Diouf qui, dès le lendemain de sa défaite, s'est dépêché de féliciter son rival, coupant ainsi l'herbe sous les pieds de ceux de son parti qui auraient été tentés d'opérer un coup de force. Par ce geste, le Sénégal échappe pour la première fois à la spirale de la contestation post-électorale, et un bel exemple de démocratie a été donné à l'Afrique toute entière.
Une victoire des jeunes
Dans toutes les villes du Sénégal, le candidat Diouf a été battu et à Dakar, Wade a remporté 100% des bureaux de vote avec un score de 76,39% des voix. Un raz-de-marée en faveur du changement. Cette victoire est d'abord celle des jeunes (50% de la population a moins de 20 ans et le droit de vote est à 18 ans), qui se sont très fortement mobilisés et ont assuré la sécurité des lieux de vote contre les troubles éventuels du PS.
D'autre part, certains chefs religieux, qui avaient donné des consignes de vote en faveur de Diouf, ont été désavoués par les Sénégalais, pour qui l'ère des consignes de vote des religieux est révolue. Le grand marabout de Touba, chef religieux des mourides, a gardé une attitude remarquable pendant les élections, en refusant de s'impliquer et en rappelant à l'ordre tous les petits marabouts qui voulaient utiliser Touba pour soutenir Diouf. Du côté du mouvement des moustachidines, lorsque leur guide spirituel, qui par le passé avait soutenu Diouf, a appelé à voter pour lui au second tour, les fidèles, à la base, ont pris l'option de l'alternance. La conscience citoyenne est renforcée sur la nécessité de séparer le religieux du politique, tout en respectant les croyances et la liberté de culte de chacun.
Les radios libres ont également fait un travail extraordinaire pendant toute la campagne, en donnant une information objective et en transmettant les résultats le soir du scrutin de façon quasi instantanée, empêchant ainsi toute possibilité de publication de faux résultats. Enfin, c'est grâce au report de voix des candidats de l'opposition - à l'exception de Djibo Ka (Union pour le renouveau démocratique), qui a décidé de soutenir Diouf - que cette victoire a été possible.
Le nouveau gouvernement
"L'an 2000 sera l'année du bonheur", chantait un musicien sénégalais dans les années 1970. Personne n'y croyait, à cause de la pauvreté grandissante du pays et de la capacité de fraude du PS. Mais février et mars 2000 ont en effet apporté un bonheur jamais égalé dans le coeur des Sénégalais, avec la défaite pacifique du PS. Dans tout le pays, la fête était totale.
Le nouveau gouvernement, qui devait compter à l'origine 21 ministres, en compte finalement 28. Y sont représentés le PDS d'Abdoulaye Wade (qui a la majorité absolue), l'AFP, le pôle de gauche, le RND, l'URD-Fal et la société civile.
Parmi les composantes du pôle de gauche, And Jëf-Pads se voit attribuer 3 ministères (Landing Savané au ministère de l'Industrie, de l'Artisanat et des Mines, Mamadou Diop Decroix à la Culture et la Communication, Awa Dia aux Relations avec les assemblées), la LD-MPT en obtient 2 et le PIT, 1. La composition du nouveau gouvernement n'a pas été sans poser des difficultés au sein du pôle de gauche, dont certaines composantes se sont senties exclues.
C'est dire que cette transition pose question quant à l'avenir du pôle de gauche, même si ses différentes composantes réaffirment leur attachement à la perspective d'unification de la gauche. Le défi auquel cette dernière est aujourd'hui confrontée est de combiner sa participation au gouvernement avec les tâches d'édification d'une alternative à gauche.
Dès à présent la bataille pour les prochaines législatives anticipées est à l'ordre du jour. Des franges importantes du PS se sont retrouvées dans l'AFP, au point que certains parlent d'un PS bis, ce dont se défend ce parti. Le PDS compte user de sa place privilégiée pour gagner la majorité parlementaire. Certains de ses secteurs affirment déjà qu'ils vont aller seuls aux législatives. Il appartient à la gauche de renforcer sa cohésion et d'être bien représentée au futur Parlement, sous peine d'être marginalisée. Surtout, la gauche devra veiller à ce que l'essentiel des accords soit respecté par le nouveau gouvernement. Il y va de sa crédibilité.
Une tâche difficile
En prêtant serment au stade devant le Conseil constitutionnel et des milliers de jeunes, Wade a voulu marquer une rupture par rapport au passé en appelant le peuple à contrôler les élus. En disant aux ministres ce qu'il attendait d'eux à la télévision devant la nation, il a voulu aussi prendre à témoin le peuple. Autant de signes qui marquent une volonté de rupture avec le passé. Mais c'est sur les mesures sociales en direction du peuple, et des jeunes en particulier, que le nouveau gouvernement sera jugé. La décision de faire un audit des sociétés d'Etat et l'appel à une "gouvernance vertueuse", respectant les biens publics et luttant contre la corruption, ont été fort appréciés par l'opinion.
Le dossier de la Casamance sera également un enjeu majeur pour le nouveau régime. En mettant à la tête des forces armées un ministre natif de cette région, Wade espère ainsi créer les conditions d'une bonne négociation avec les indépendantistes pour le retour à la paix dans la région. Mais il est clair que les avancées dans la résolution de la crise casamançaise seront fonction de la politique développée en direction de la Guinée-Bissau et de la Gambie, qui connaît actuellement des troubles inquiétants.
Le plus dur reste à faire aujourd'hui. La victoire a suscité un espoir immense, et la tâche sera difficile, tant les revendications sont grandes après quarante années d'étouffement.
A Dakar, correspondant