27 octobre 2000

Roch Wamytan - Kanaky vivra!

Roch Wamytan est secrétaire général du FLNKS (Front de libération nationale kanake et socialiste), l'organisation indépendantiste du peuple kanak en Nouvelle-Calédonie. En 1991 étaient signés les accords initiés par Michel Rocard. Un nouvel accord, dit de Nouméa, a été signé il y a deux ans, et les institutions sont en place depuis un an et demi. Roch Wamytan était présent à Paris lors de la rencontre entre les organisations indépendantistes et autonomistes.
- Où en est l'application des accords?
Roch Wamytan - Nous avons d'énormes problèmes pour faire respecter par notre partenaire, le RPCR, certains éléments clés inscrits dans les accords, notamment sur la question du gouvernement local, qui devait fonctionner selon le principe de la collégialité. Or le RPCR, qui avait discuté avec nous pendant des mois et des mois et avait signé les accords de Nouméa, a choisi un autre partenaire que nous, à savoir une organisation qui regroupe une scission du FLNKS, pour chercher une autre majorité. C'est un véritable affront puisqu'ils choisissent des responsables sortis du FLNKS, pour des raisons qui sont les leurs, pour s'opposer à nous.
Parti comme cela, l'accord ne pouvait qu'être dénaturé. Des dossiers sont en retard, notamment celui de la définition du corps électoral pour les élections provinciales. L'accord avait bien précisé que ce corps électoral demeurait "figé". Mais sous la pression du RCPR, le Conseil constitutionnel en a donné une interprétation contestable; il considère le corps électoral non pas comme "figé", ce sur quoi nous nous étions mis d'accord, mais comme "glissant", les personnes entrant en Nouvelle-Calédonie à partir de 1999 pouvant voter au bout de 10 ans. Dès lors, nous attendons toujours la réunion du Congrès national (Parlement et Sénat français) qui devrait préciser ce point. Tout cela crée un climat qui n'est pas du tout favorable au développement économique, à l'harmonie et à l'entente des communautés. Nous continuons à lutter pour que le RCPR et surtout l'Etat français respectent cet accord dans l'esprit et la lettre. Ce pacte est un point d'équilibre entre d'une part la légitimité kanake, et d'autre part ceux dont la démarche politique est de défendre la République française en Nouvelle-Calédonie.
- Le scrutin d'autodétermination est reporté à 2014.
R. Wamytan - Un processus est engagé, que nous avons appelé un processus d'émancipation politique, sur 15 ans. Au court de ces 15 ans, il doit y avoir un certain nombre de transferts de compétences de l'Etat vers la Nouvelle-Calédonie, et au bout des 15 ans, quand l'ensemble de ces transferts aura été effectué, sera posée la question de sortir de l'ensemble français ou d'y rester. Le déclenchement de ce scrutin d'autodétermination ne sera pas décidé par l'Etat français, mais par le congrès local de l'île. La population se prononcera, mais elle doit pouvoir le faire en toute transparence et connaissance de l'enjeu qui sera posé à ce moment-là. La question de l'indépendance n'est pas gagnée, il faut continuer à se battre pour que nos populations, nos jeunes, soient bien conscients que nous nous battons pour l'indépendance du pays et que dans 15 ans, il faudra se prononcer là-dessus.
- On a récemment trouvé du pétrole en Kanaky...
R. Wamytan - Cela suscite des espoirs, mais autant d'inquiétudes, quand on connait tous les requins qui tournent autour du pétrole. Des recherches effectuées montrent des traces d'hydrate de gaz, donc de pétrole, sur le plateau continental, à 2000 m de fond. Ils vont passer dans les mois qui viennent à une phase d'exploration sous-marine et définir les possibilités d'exploitation à moyen et à long termes. Avec la venue des grandes compagnies, Total et Elf, on ne peut que s'interroger sur la tournure que prendra notre lutte pour l'indépendance politique, quand on sait le rôle qu'elles ont joué dans les pays qui sont dotés de ces richesses pétrolières.
- Tu reviens de l'ONU...
R. Wamytan - Oui, parce que nous sommes inscrits, depuis 1986, sur la liste des pays à décoloniser, par une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU. Régulièrement, nous allons à l'ONU pour pétitionner et être auditionnés par la 4e commission, qui rassemble 189 pays membres. Nous intervenons devant cette instance pour parler de la situation politique, économique et sociale du pays. J'y ai exposé les difficultés que nous rencontrons dans le processus. J'ai interpellé à la fois l'Etat français, sur son rôle d'acteur de la décolonisation, mais aussi l'ONU elle-même, puisqu'elle nous considère comme un pays appelé à être décolonisé. L'accord de Nouméa prenant comme principe, comme fondement, le processus de décolonisation, s'il y des accrocs au processus, l'ONU est tenue d'interpeller l'Etat français. C'est ce que j'ai demandé, vu la situation actuelle. C'est à l'Etat d'intervenir vis-à-vis de ses ressortissants et du RPCR. J'ai aussi plaidé pour que la décade 1990-2000, décrétée par l'ONU décade de la décolonisation, soit prorogée d'une deuxième décade parce qu'il y a de nombreux pays, parmi les 19 qui étaient sur la liste en 1990, qui n'en sont pas sortis. Seuls deux en sont sortis, la Namibie et le Timor oriental, mais à quel prix et dans quelles conditions... En revanche, frappent à la porte de l'ONU un certain nombre d'autres pays qui demandent à être inscrits sur la liste des pays à décoloniser. C'est la demande formulée par toutes les organisations des territoires sous tutelle de l'Etat français dans les DOM-TOM, qui étaient rassemblées à Paris les 29 et 30 septembre (1).
- Quel bilan tires-tu de cette rencontre?
R. Wamytan - Il est largement positif, c'est la première fois que se sont rencontrées toutes ces organisations indépendantistes et autonomistes. Même si les situations sont différentes d'un pays à l'autre, nous avons affaire au même adversaire, l'Etat français. Cet Etat jacobin défend des intérêts qui lui sont propres, et ne veut pas reconnaître nos droits à nous autodéterminer, à être un jour indépendants. Ou alors il fait semblant de les reconnaître, comme en Kanaky. Nous avons décidé d'actions communes pour nous renforcer mutuellement et nous faire entendre vis-à-vis de l'Etat comme vis-à-vis de l'ONU puisque, notamment dans les Caraïbes et dans le Pacifique, nous sommes dans une situation coloniale. Nous faisons aussi appel au peuple français, aux syndicats, aux forces progressistes de la France métropolitaine pour nous appuyer dans cette démarche d'émancipation de nos peuples.
Propos recueillis par Alain Mathieu
1. Voir "Rouge" du 12 octobre.