27 octobre 2000

Egypte - Elections sur fond de révolte

Même si le contexte est délicat de son point de vue, le pouvoir égyptien a réuni tous les ingrédients de la mascarade électorale telle qu'elle se déroule traditionnellement.
Les élections législatives vont se dérouler cette fois dans une ambiance et un contexte très particuliers. Le soulèvement des jeunes Palestiniens, la "nouvelle Intifada", a en effet fait descendre dans la rue des milliers de gens, de jeunes surtout, un peu partout en Egypte. Les étudiants de gauche (nassériens et extrême gauche) ont réussi à faire entendre leurs slogans dans les manifestations. Les lycéens ont manifesté quotidiennement et spontanément, s'octroyant de fait un droit interdit dans le contexte de la loi d'urgence appliquée depuis 1981, date de l'assassinat de Sadate. Mais ils ne sont pas les seuls: dans les quartiers populaires, des marches ont eu lieu et des manifestations se sont déroulées après la prière du vendredi, les 6 et 13 octobre. Ce mouvement fait irruption dans un contexte de crise économique, où les recettes du FMI sont toujours aussi violentes. Le mécontentement face à cette situation explique d'ailleurs pour partie l'ampleur inédite du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien.
C'est donc dans un contexte difficile, de son point de vue, que le gouvernement organise les élections législatives. Il va devoir assurer à la fois l'organisation de la fraude et la répression, qui a commencé bien des mois plus tôt, avec l'arrestation d'environ 700 cadres et militants des Frères musulmans, le seul courant politique organisé à représenter une réelle menace pour le pouvoir. Tout ceci avec, en prime, un discours sur la démocratie triomphante et la transparence des élections. Ce discours prend un peu plus d'importance cette fois-ci à cause de la minicrise politique de l'été, qui a éclaté quand la Haute Cour constitutionnelle a déclaré nulles les élections de 1995 pour "non-constitutionnalité". Pour calmer le jeu, le gouvernement a depuis déclaré que les élections seraient directement supervisées par la justice. Lorsqu'on sait que les urnes sont entreposées au ministère de l'Intérieur avant le dépouillement, il reste peu d'illusions sur ces nouvelles mesures.
C'est cette supervision par la justice qui justifie l'organisation des élections sur une période de 3 semaines (du 18 octobre au 14 novembre), étalées sur les différentes provinces du pays, car il n'y a pas suffisamment de juges pour le nombre de bureaux de vote. Mais en plus de la répression et de la fraude (les morts qui votent et les sommes versées pour "encourager" à voter PND), le pouvoir s'assure également la victoire dès le départ: sur les quelque 4200 candidats au total (dont seulement 2% sont des candidates) pour les 450 sièges du Parlement, la majorité écrasante fait partie du Parti national démocratique (PND, au pouvoir) ou des pseudo-PND qui se cachent sous l'étiquette "indépendants". En face, les Frères musulmans ont 75 candidats qui se présentent en tant qu'indépendants, leur mouvement étant interdit. Le Parti du travail (islamiste, opposition), récemment interdit (cela faisait partie de la préparation des élections) présente une vingtaine d'indépendants, le Wafd (libéral) un peu moins de 300, les Nassériens une vingtaine et à peu près le même nombre pour le Rassemblement (gauche réformiste).
Au milieu de ce branle-bas de combat, qui ne passionne pas la rue - les résultats étant, dans leurs grandes lignes, déjà connus -, quelques candidats, issus de divers courants d'extrême gauche, se présentent cette année et tentent de mener une campagne en prise avec les préoccupations des gens. Ils ont souvent été à la pointe des mouvements de solidarité avec l'actuelle révolte en Palestine, ont organisé des manifestations dans leur quartier. La situation actuelle est plus favorable aujourd'hui qu'hier à tous ceux qui tentent de faire entendre une voix différente, celle des travailleurs et de tous les opprimés, loin du lamentable épisode de Charm-al-Cheikh et de la solidarité de façade du sommet arabe.
Au Caire, Layla Badawi

Rouge 26/10/00