3 novembre 2000

Ethnicisme en Côte-d'Ivoire - Les crimes de la Françafrique

En Afrique, les frontières ont été arbitrairement tracées par les colonisateurs européens. Il suffit aux autocrates de dégoupiller la grenade de l'ethnicisme pour enflammer un pays ou une région. Les partis de Côte-d'Ivoire, et leurs amis français, ont ainsi joué avec le thème de "l'ivoirité", entraînant ce pays dans la tourmente.
Longtemps, la Côte-d'Ivoire fut dominée par le régime d'Houphouët-Boigny. Ce pays de la zone franc avait une économie relativement dynamique, basée sur l'exportation du cacao et du café, ce qui n'empêchait pas la pauvreté de frapper massivement la population. A la mort d'Houphouët, son successeur, Konanbédié, ne put pérenniser le régime, face à la crise économique provoquée par la baisse du cours des matières premières, et aux exigences d'une société civile qui réclamait la démocratie. Konanbédié chercha alors son salut dans l'exploitation d'un nouveau concept, l'"ivoirité". Absurde dans cette mosaïque de populations et de religions! Cette politique contenait en germes la guerre civile.
Les ravages de "l'ivoirité"
A l'époque déjà, le Front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo, pourtant seule formation ayant lutté avec constance pour le pluripartisme sous la dictature, et ayant souvent développé un discours progressiste, entonnait la même ritournelle, prétendant n'accorder le droit de vote qu'aux seuls "nationaux", aux "patriotes ivoiriens". Un climat qui développait la méfiance envers les populations du Nord, fréquemment originaires du Burkina, du Mali, de la Guinée, et souvent musulmanes. Les tensions restaient latentes.
Un des prétendants à la succession, Alassane Ouattara, provient de cette région. Responsable du FMI à New York, ancien Premier ministre d'Houphouët, c'est sous son égide que s'effectuèrent de nombreuses privatisations, et que se développa une politique libérale. Mais il apparaissait le plus dangereux au pouvoir qui, pour l'éliminer, contesta ses origines "ivoiriennes". En décembre dernier, le coup d'Etat du général Gueï, en renversant le régime de Konanbédié, fit naître quelques espoirs dans la population: le militaire prétendait n'assurer qu'une transition. Il ne résista pourtant pas à la tentation de se maintenir. Lorsqu'il organisa les élections, il réforma d'abord la Constitution, avec le soutien de Gbagbo, afin de mettre hors-jeu les candidats à la "nationalité douteuse". Quatorze d'entre eux sur 19 (dont Ouattara) furent ainsi empêchés de concourir. Gbagbo accepta de jouer le jeu, alors que les autres partis appelaient au boycott. C'est dire si ces élections étaient truquées, illégitimes et dangereuses.
Gbagbo va les gagner malgré tout, avec une participation de 30% de l'électorat. Il faudra 48 heures pour que le général capitule, après avoir tenté d'empêcher la promulgation des résultats. Le poison de l'ethnicisme a toutefois agi et, le jour suivant la proclamation de la victoire de Gbagbo, des affrontements vont opposer les partisans de Ouattara à la gendarmerie et aux milices du parti de Gbagbo. Ils feront des dizaines de morts, provoqueront des chasses à l'homme contre les musulmans et les "nordistes". Tandis que Ouattara se réfugiera à l'ambassade d'Allemagne...
La Côte-d'Ivoire se retrouve au bord du gouffre. Pour défendre la démocratie, pour que reviennent au premier plan les revendications sociales des populations, il faut d'abord éteindre l'incendie déclenché par l'ethnicisme. Ce qui implique de nouvelles élections, avec tous les candidats, et l'arrêt des discriminations entre populations. Mais Gbagbo refuse.
On ne peut, dans ce cadre, oublier les responsabilités françaises. La Côte-d'Ivoire a toujours été choyée par les entreprises françaises, les partis de nos différents gouvernements y ayant toujours possédé des intérêts. Le coup d'Etat de Gueï avait ainsi été le théâtre d'un spectacle édifiant de la "Françafrique". Chirac était prêt à envoyer les paras pour sauver Konanbédié, Védrine et Jospin l'en avaient empêché. Puis la droite avait reconverti ses réseaux, avec l'aide des régimes amis de la région. Ce sont aussi d'ex-militaires de la DGSE qui ont entraîné les 200 militaires de la "garde rouge" du général déchu. De Bouygues à Bolloré ou à Sucden, on ne compte pas les intérêts français engagés en Côte-d'Ivoire, aux côtés d'entreprises comme la SNCF, EDF ou France Télécom qui profitent des privatisations. Mais c'est le Parti socialiste qui s'enferre le plus, en soutenant son poulain Gbagbo au prix d'une approbation du concept "d'ivoirité". On a entendu Védrine le soutenir inconditionnellement, Rocard faire acclamer "la victoire du camarade Gbagbo", Hollande le féliciter, et le conseiller Afrique du PS, Guy Labertit, encourager depuis Abidjan sa politique dangereuse.
Combien de souffrances les peuples africains devront-ils encore subir à cause de cet aveuglement et de cette complaisance pour les thèses meurtrières de l'ethnicisme en Afrique? Tous ces gens n'ont-ils rien appris de leurs erreurs mortelles au Rwanda?
Alain Mathieu