9 novembre 2000

ALGÉRIE - Bilan d'un congrès

Soumia Salhi, membre du Parti socialiste des travailleurs, nous livre ici son analyse du congrès de l'UGTA, où elle a été élue à la commission nationale exécutive (24 membres), et des raisons de cette élection.
- Tu viens d'être élue à la direction de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA). Quel bilan tires-tu du congrès?
Soumia Salhi - Le congrès s'est présenté comme un affrontement très dur entre deux candidats au poste de secrétaire général: Sidi Saïd, le secrétaire général sortant, et Mehdi, le puissant secrétaire à l'organisation. La presse et la télévision ont mis en avant les insultes et les tables qui volaient, de manière à discréditer la centrale syndicale qui constitue, malgré sa faiblesse, ses tares et son intégration au système, un frein objectif au démantèlement du secteur public. Mais ce congrès à huis clos des permanents a très peu subi la pression des travailleurs qui, malgré un réveil marqué des luttes depuis 1997, sont affaiblis par les centaines de milliers d'emplois perdus et par les menaces qui pèsent notamment sur les entreprises publiques. Ce 10e congrès est le premier sans discours du président de la République, sans présence médiatisée du gouvernement, et les déchirements de l'appareil révèlent aussi que le secrétaire général n'est pas désigné ailleurs.
- L'existence de la commission femmes a été inscrite dans les statuts. En repartant de la situation actuelle, peux-tu nous dire ce que cette avancée va permettre?
S. Salhi - Après 3 ans de lutte au sein de bureaux de coordination des femmes syndicalistes, élus à travers le pays, la guerre de succession dans le syndicat a entrainé le report de la conférence nationale des militantes de l'UGTA. Notre protestation bruyante n'a pas suffi. Seulement huit femmes élues déléguées sur huit cents... Malgré tout, notre travail de lobbying a été efficace.
L'avenir n'est pas rose. Objectivement, les femmes sont de plus en plus nombreuses à être actives en dehors du foyer. Mais elles rejoignent le chômage, les petits boulots, le secteur informel, elles sont encouragées aux départs volontaires et aux retraites anticipées. Les femmes constituent une part significative des adhérents, la prise en charge de leur spécificité, va permettre de lutter contre les discriminations.
Cet acquis va nous permettre aussi d'avoir une influence plus large que les associations qui n'ont pu, malgré leur dynamisme et leur immense retentissement, mobiliser au-delà des universités et des intellectuelles.
- Militante du Parti socialiste des travailleurs (PST), tu es connue pour tes nombreux engagements dans le mouvement de masse, en particulier dans les associations féministes qui ont joué un rôle important aux pires heures du terrorisme des islamistes et de l'Etat. Pourquoi la direction de l'UGTA a-t-elle choisi de te présenter à ce poste?
S. Salhi - La direction me connaît comme dirigeante du PST. Ils savent que je suis présidente de l'AEF (Association pour l'émancipation de la femme), que j'ai refusé d'applaudir Bouteflika. Au lendemain du congrès, on m'a fait la fête. Unique femme élue, j'ai eu droit aux félicitations de toutes parts, aux interviews, photos et biographies dans les quotidiens, on a évoqué mon implication à la tête du parti.
Pratiquement, j'ai été élue à la direction de l'UGTA sur la base de mon combat pour des quotas et pour les commissions femmes. Mais en fait, mon identité de gauche a compté. Car mon intégration à la direction se fait avec d'autres camarades de gauche, comme ceux de Rouiba (zone industrielle d'Alger). Le rapporteur de la résolution finale, issu du bastion enseignant de Béjaia, préconise une indexation des salaires sur les prix, un front mondial pour l'annulation de la dette, une mobilisation contre les privatisations et d'autres excellentes choses. Les congrès locaux ont fourni des motions radicales. La fédération des retraités parle de nécessaire confrontation avec les pouvoirs publics. Instinctivement, l'appareil syndical menacé dans son existence par la disparition annoncée du secteur public recherche une voie plus à gauche.
Boudée par le pouvoir qui oeuvre délibérément à délégitimer les partenaires sociaux au moment de privatiser, l'UGTA n'hésite pas à s'afficher avec le PST. Mais la nature de la direction n'a pas vraiment changé et en l'absence de mobilisations sociales, les textes ne suffiront pas.
Propos recueillis par Barnabé Célin

Rouge 09/11/00