5 mars 2001

SENEGAL - Abdou Diouf en ballotage


Le 1er tour de l'élection présidentielle au Sénégal, le 27 février, s'est traduit par un effondrement du parti-Etat, le Parti socialiste au pouvoir depuis 1960. Ses opposants et les Sénégalais espèrent connaître enfin l'alternance.
Lors du premier tour de la présidentielle, Abdou Diouf, président sortant et candidat du Parti socialiste, a obtenu 40,3% des suffrages et Abdoulaye Wade (PDS), candidat de la Coalition Alternance 2000 (CA 2000), 30,9%. Un tel résultat est une victoire historique pour le peuple sénégalais. Malgré les fraudes, la corruption, la complicité de l'administration, Abdou Diouf va devoir subir le supplice du 2e tour!
Au Sénégal, le ras-le-bol est général. Les populations ont subi les politiques d'ajustement structurel et la dévaluation. La pauvreté et le chômage notamment celui de la jeunesse croissent. Malgré les discours du gouvernement sur la croissance (5%), les Sénégalais ont estimé que celle-ci ne se mange pas et qu'eux ont besoin de manger, d'être soignés, de trouver du travail. Le Sénégal se retrouve dans le peloton de queue des pays d'Afrique de l'Ouest selon l'indice de développement humain du Pnud. En pleine campagne électorale, les députés du PS ont augmenté les salaires des parlementaires de 1500 francs par mois, au moment où les sortants de l'Ecole normale supérieure, qui forme les enseignants, étaient dans la rue. Cette immoralité d'un régime kleptomane et mafieux radicalise les jeunes, qui ont pris d'assaut les bureaux de vote, rompant avec leur traditionnelle abstention.
Le PS isolé
Le PS, usé par le pouvoir, a connu des divisions et des scissions importantes. Deux de ses grosses pointures, Djibo Ka et Moustapha Niasse, anciens ministres, l'ont quitté pour former leur parti et se sont présentés contre Diouf. De fait, le PS se retrouvait avec 3 candidatures issues de ses rangs.
L'opposition classique, quant à elle, des partis de la gauche comme celle du libéral Abdoulaye Wade, a saisi l'opportunité de la dislocation du PS pour créer une coalition, fondée autour d'un programme de gouvernement de transition d'une durée d'un an. Il prévoit des réformes institutionnelles profondes, en particulier l'élaboration d'une nouvelle constitution qui sera adoptée par voie référendaire, la suppression du Sénat, la dissolution de l'Assemblée nationale et des conseils locaux et l'organisation de nouvelles élections législatives et locales libres et démocratiques, grâce à un nouveau code électoral et une commission électorale nationale indépendante. Il prévoit des mesures sociales d'urgence pour soulager les pauvres et des chantiers créateurs d'emplois pour les jeunes, mais surtout la "bonne gouvernance" et la lutte contre la corruption.
Une coalition anti-Diouf
Ces partis de la CA 2000 sont souvent allés aux élections de manière dispersée. Les dernières législatives de 1998 ont vu 60% des électeurs bouder le scrutin à cause de la multiplicité des listes, qui favorisait la fraude du PS. La CA 2000, qui regroupe le PDS d'Abdoulaye Wade, le pôle de gauche (And Jëf-PADS de Landing Savané, la LD-MPT d'Abdoulaye Bathily, le PIT de Amath Dansokho, le MSU de Mamadou Dia, l'UDF-mboloo-mi) et trois autres petits partis, regroupe l'essentiel des partis politiques mobilisés pour les conquêtes démocratiques. Abdoulaye Wade, leader du PDS, a été désigné pour conduire la liste parce qu'étant le plus représentatif.
L'enjeu était de mettre fin à 40 ans de règne du PS et de déverrouiller le système en place, pour jeter les bases d'une véritable démocratie. Face à un PS éclaté qui a eu du mal à franchir la barre des 50 % aux dernières législatives, il était possible de battre ce parti grâce à une large coalition. Le PS a qualifié l'alliance de la gauche avec Wade le libéral-démocrate d'"alliance contre nature". Mais au Sénégal, plus libéral que le PS, tu meurs. Ce parti membre de l'Internationale socialiste a appliqué toutes les politiques ultralibérales du FMI et de la Banque mondiale. Il a privatisé les secteurs de l'eau, l'électricité, le téléphone, le transport, les uvres universitaires, a supprimé l'assistance aux paysans, baissé les prix aux producteurs, etc.
Le débat avec le PS n'était pas d'ordre idéologique mais politique. Le "sopi", c'est-à-dire le changement, était une revendication populaire et tout le monde voulait le départ de Diouf. Et Jacques Séguéla, "le Grand Sorcier Blanc" que Diouf a fait venir pour assurer sa communication, n'a rien trouvé de mieux que le thème du changement pour la campagne de Diouf. "Tous ensemble changeons le Sénégal", "le siècle change", tels étaient les slogans de Diouf. Le peuple a vite compris que puisque même Diouf appelait au changement, alors il fallait commencer par changer de président!
Le régime avait mis en place un dispositif pour assurer sa victoire informatique dès le premier tour des élections, grâce à un fichier électoral infesté de faux électeurs, des cartes électorales confectionnées en toute clandestinité, un général souteneur de Diouf en tenue de camouflage comme président de l'Onel, etc. Mais l'ensemble de l'opposition, regroupée au sein du Front pour la régularité et la transparence des élections, réussira à déjouer une bonne part des manuvres. Le 27 février, jour du scrutin, le candidat Diouf a été écrasé dans les principales villes du Sénégal comme Dakar et Pikine, où ce fut un raz-de-marée pour Wade (48% pour Wade et 21% pour Diouf), Rufisque, Thiès, Kaolack, Ziguinchor, Bignona, Kolda. Dans les zones rurales, la fraude a été la règle.
Pour le deuxième tour du scrutin, le 19 mars, la totalité des candidats de l'opposition a appelé à voter pour Abdoulaye Wade. Le PS se retrouve seul. Sentant le vent tourner, de larges secteurs du PS sont en train de quitter la pirogue qui coule. Le député-maire de Rufisque, Mbaye Jacques Diop, a déjà pris le large.
Risques et incertitudes
Si les chances pour l'alternance sont réelles, rien n'est joué. Le PS est en train d'acheter les cartes des électeurs. Certains de ses secteurs savent que si l'alternance se produit, ce sera la fin pour des gens qui n'ont vécu qu'avec la rapine. Au premier tour, les élections se sont globalement déroulées dans la paix malgré quelques dérapages. Il n'est pas dit qu'il en soit ainsi au 2e tour. C'est pourquoi le soutien de la communauté internationale et des anti-impérialistes en France est déterminant, afin que le PS ne puisse bénéficier d'aucun soutien pour commettre un forfait que le peuple ne tolérera pas et qui risquerait de plonger le Sénégal dans le chaos.
A Dakar, correspondant

Rouge 5 mars 2001