15 février 2001

TUNISIE - Ben Ali, basta!

Interview
Notre ami Jalel Zoghlami est dirigeant de l'Organisation communiste révolutionnaire (trotskyste), ce qui est loin d'être une sinécure au pays de Ben Ali. C'est notamment parce qu'il était emprisonné que son frère Taoufik Ben Brik avait entamé une grève de la faim en avril dernier. Juriste de formation, journaliste, il vient de lancer un mensuel électronique, "Kaws el Karama", aussitôt interdit par le régime tunisien.
- Pourquoi cette grève de la faim?
Jalel Zoghlami - Le 3 février, alors que je marchais dans la rue, j'ai senti sur ma tête un coup d'une extrême violence. J'ai cru qu'une énorme pierre était tombée du ciel. Je me suis retourné, et j'ai vu cinq hommes, armés de barres de fer et de machettes. Après une course-poursuite, j'ai pu me barricader dans une société de location de voitures. Alors que les employés de cette agence menaçaient d'appeler la police, mes agresseurs leur répondaient qu'ils étaient de la police et allaient me tuer. Avec l'arrivée d'autres policiers du quartier, j'ai pu sortir.
J'ai alors entamé, chez moi, une grève de la faim pour dénoncer cette tentative d'homicide. Après être allé à la clinique passer un scanner, je m'apprêtais à faire une conférence de presse, le 6 février. Je revenais chez moi avec un membre de "Kaws el Karama", mon épouse, mon avocat et vice-président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH). Trente policiers étaient placés autour de mon domicile, ont donné l'ordre que je rentre avec ma femme seulement. J'ai refusé, car j'ai le droit de recevoir mes amis. On a vu apparaître les hommes qui m'avaient agressé le 3 février, ils ont frappé des amis qui étaient descendus de chez moi. Nous avons réussi à nous barricader dans mon appartement. Avant que les communications ne soient coupées, nous avons pu téléphoner à des militants pour qu'ils nous rejoignent, à nos amis en Algérie, en Egypte, dans les pays arabes, à mon frère Taoufik en France, à des parlementaires européens de gauche. Sous la pression, ils ont levé le siège le lendemain matin.
- Quels groupes te soutiennent?
J. Zoghlami - Ils voulaient isoler la grève de la faim, ce n'est pas une réussite! La solidarité ne cesse de s'élargir, notamment dans les rangs syndicaux. Nous avons fait une réunion de solidarité lors de la venue d'une délégation de députés européens. Ont pris la parole ou ont envoyé des messages de soutien ma femme, militante féministe et syndicaliste, le Raid, l'avocate Radiha Nasraoui, la LTDH, les Femmes démocrates, le Conseil national pour les libertés (CNLT), un leader du mouvement étudiant, les chômeurs diplômés, une syndicaliste de la santé, un comité de solidarité marocain, le Parti ouvrier communiste tunisien, les Patriotes démocrates (maoïstes), le PUT, le MDS, le RSB... Mais aussi 20 associations palestiniennes, 101 personnalités égyptiennes emmenées par le cinéaste Youssef Chahine, des journalistes marocains, algériens, européens, Amnesty International, la FIDH, Robert Ménard de Reporters sans frontières et la députée Hélène Flautre...
- Comment analyses-tu ce regain de répression? On a l'impression que Ben Ali prend sa revanche après la grève de Taoufik Ben Brik...
J. Zoghlami - Après la grève de la faim de Taoufik, qui coïncidait avec un large mouvement de lycéens, Ben Ali a reculé un moment, mais n'a pas cédé. Il m'a fait sortir de prison, il a redonné les passeports à la plupart des opposants. Mais il n'y a eu aucun changement sur le plan politique. Durant l'été, les criminels du palais de Carthage ont mûri leur riposte, puis ont lancé cette vague de répression. Un jeune militant islamiste, après 100 jours de grève de la faim, a été condamné à 17 ans de prison. Le président du CNLT est en procès, tout comme le vice-président de la LTDH; un avocat membre du CNLT est en prison; les réunions du CNLT, du Raid, de la LTDH, des Femmes démocrates, sont interdites. Et le gouvernement n'a pas toléré le congrès de la LTDH, qui avait élu une direction opposée à sa politique. D'où le verdict d'un tribunal de Tunis, ce 12 février, de la dissoudre.
- Le journal que tu viens de créer est également interdit...
J. Zoghlami - Il s'agit d'un mensuel électronique, "Kaws el Karama" ("l'Arc de la dignité"), qui regroupe des syndicalistes radicaux, des féministes, des dirigeants de l'OCR, des Patriotes démocrates, des anarchistes. Nous l'avions annoncé lors d'une conférence de presse le 26 janvier (jour anniversaire de la grève générale de 1978). Au bout d'une heure la police a débarqué, saisi les sorties papier du journal. Mon agression est survenue six jours après le lancement de notre journal...
Le premier article, que j'avais écrit, est intitulé "Ben Ali, basta!". En une dizaine de points, j'y explique pourquoi ça suffit, à cause de sa politique répressive, sa politique économique, sociale, culturelle, sa politique envers les associations et l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), envers les femmes, les jeunes, sa politique aux ordres du FMI, des impérialismes, ses liens avec le régime sioniste. Ce qui les a énervés, surtout, c'est que je dise qu'une cinquantaine de personnes constitue le noyau du pouvoir de Ben Ali, se partageant les postes clés, les ministères, la police. Ce groupe, qui symbolise la répression et la corruption, est là pour appliquer les programmes d'ajustement structurel et se mettre au service des familles du Palais.
- Comment se déroule ta grève, quelles initiatives prends-tu, quelle solidarité attends-tu?
J. Zoghlami - Je rends visite à des groupes militants. Et nous organisons des journées "Basta". Mercredi c'est "la politique de Ben Ali envers les jeunes, basta!"; une réunion regroupera des dirigeants des mouvements lycéen et étudiant, de l'Union générale des étudiants. Jeudi sera consacré à des questions internationales, à la Palestine.
Samedi, ce sera "la répression envers les syndicalistes, basta!", dans les locaux de l'UGTT. J'appelle ici les syndicalistes français et européens, les dirigeants des mouvements sociaux, les défenseurs des droits de l'Homme à venir ce samedi pour défendre la liberté et la dignité en Tunisie, à me soutenir, à envoyer des messages de soutien. J'appelle toutes les forces maghrébines, arabes et internationales à nous envoyer des représentants, à nous soutenir dans notre lutte contre la politique criminelle et de paupérisation de Ben Ali. Basta Ben Ali!
Propos recueillis par Laure Favières
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Rouge 15/02/01