14 mars 2003

Chirac en Algérie - Le voyage masque la détresse

C'est seulement queques jours après la grève générale qui a secoué l'Algérie que messieurs Chirac et Bouteflika se sont prêtés à une mascarade éhontée.
Le Président français, Jacques Chirac, a effectué une visite d'Etat, du 4 au 6 mars, en Algérie. Une première depuis l'indépendance de ce pays. Inscrite dans la perspective d'une refondation historique des relations algéro-françaises, cette visite n'a pas dépassé l'expression d'une décharge émotionnelle. Jacques Chirac s'est exprimé devant les deux chambres réunies (Assemblée populaire et nationale et Sénat), convoquées exceptionnellement par Bouteflika. Il a commencé son discours par un long plaidoyer sur l'histoire qui a lié les deux pays, sans la moindre critique du fait colonial. Bien au contraire, il a lancé un appel aux Algériens à des concessions mutuelles et à regarder en commun le passé en face.
Il ne peut y avoir une stratégie de refondation tant qu'il n'y a pas de liquidation responsable du contentieux historique entre les deux pays. La France doit reconnaître le caractère colonial de ce que Jacques Chirac a qualifié de "présence française", avec tous les crimes commis que cela a impliqué. La France est doublement endettée envers l'Algérie. La première dette est liée à toute la période coloniale, durant laquelle toute sa puissance a été durablement construite sur les richesses et les réserves de l'Algérie. La deuxième est liée à la période de la guerre de libération pendant laquelle des crimes contre l'humanité ont été commis.
Jacques Chirac a tenu à apporter son soutien au programme économique du Président Bouteflika, qui vient d'être rejeté par les travailleurs algériens, lesquels ont observé une grève générale les 25 et 26 février dernier. Le Président français a proposé d'approfondir les relations économiques entre la France et l'Algérie dans deux directions : Le développement des infrastructures et les investissements privés. Bouteflika, à peine élu en 1999, s'est lancé dans une campagne électorale désastreuse et dévastatrice pour le pays. Après avoir absous les islamistes de leurs crimes, il s'est attaqué à la destruction du patrimoine économique national en le troquant à moindre prix aux émirs du Golfe, puis aux Occidentaux, contre un soutient à sa réélection.
La visite de Chirac n'est qu'une étape de ce plan qui, à la demande des investisseurs étrangers, applique la mise en place de la liquidation du socle économique, la destruction de l'administration et de tous les leviers de contrôle pour permettre l'installation sans concurrence des nouveaux propriétaires de l'Algérie. Bouteflika n'a jamais caché ses ambitions de se succéder à lui-même. Dans le calcul présidentiel, l'appui de Jacques Chirac sera décisif quand viendra l'heure de désigner le prochain Président. Afin de s'assurer le concours de l'Elysée, le Président algérien se prête à des marchandages douteux sur les fondements des questions nationales et internationales, par crainte de déplaire au tout-Paris.
L'ambiguïté de la position algérienne concernant le conflit du Sahara occidental et le silence de Bouteflika face aux dernières offres de James Baker - qui consistent à remplacer l'option d'un règlement de la question par l'organisation d'un référendum d'autodétermination des Sahraouis par l'intégration du Sahara occidental au Maroc dans le cadre d'une large autonomie (voeu de Jacques Chirac) - est en rupture totale avec les traditions de la révolution algérienne.
La visite du Président français en Algérie est à caractère strictement politique et ordinaire. Mais alors, par quel sortilège cette visite a-t-elle été transformée en événement majeur pour lequel il a fallu refaire les trottoirs, repeindre les façades, retaper les cimetières et obliger les écoliers à chanter pendant des heures en attendant le passage du cortège présidentiel ? C'est toute chimère "bouteflikienne" : s'exhiber. Le Président algérien se regarde dans le miroir grossissant de la France pour échapper à sa propre dimension. La visite de Chirac a révélé au grand jour la faillite d'un régime qui accule les jeunes à demander des visas pour survivre, ce qui n'est qu'un des signes les plus tragiques.
Abdel Khalifa.
Rouge 2008 13/03/2003