4 avril 2003

Mouvement antiguerre égyptien - En nombre face à la répression

Hébété par la répression sauvage menée par un gouvernement affaibli et aux abois, le mouvement antiguerre égyptien prépare une nouvelle manifestation pour le vendredi 4 avril.
On se souviendra longtemps au Caire du jeudi 20 mars 2003, le jour où près de 20 000 manifestants ont occupé de midi à minuit la place Tahrir, l'une des plus centrales dans la ville. Ce n'était plus arrivé depuis 1972. A l'époque, c'était le mouvement étudiant qui s'y était installé jusqu'à l'aube. Cette fois-ci, toutes les générations sont réunies : les écoliers, les étudiants, mais aussi les employés, les ouvriers, les retraités... Le regroupement d'organisations qui mène la mobilisation contre la guerre (1) a appelé à un rassemblement sur la place le lendemain du début des frappes. L'initiative a réussi au-delà de toutes les espérances. Il s'agit d'une victoire pour des militants qui continuaient à organiser les mobilisations malgré la façon dont s'était déroulée la manifestation du 15 février : il n'y avait qu'un millier de militants encerclés par près de dix fois plus de flics.
Massif
Jeudi, place Tahrir, c'est différent. Massif mais calme : aucune pierre n'atteint les vitrines pourtant attirantes des fast-foods. Des affrontements ont en revanche lieu lorsque les manifestants tentent d'atteindre l'ambassade des Etats-Unis : près de 150 blessés, selon Al-Jazeera. Beaucoup de slogans stigmatisent la position de Moubarak face à la guerre, mais aussi la responsabilité du gouvernement dans la crise économique et sociale que traverse actuellement le pays. Le pouvoir est débordé, pris par surprise. Des officiels laisseraient entendre que si on n'intervient pas, ça sera un deuxième janvier 1977 (la "révolte du pain", réprimée dans le sang par Sadate).
De l'autre côté de la barrière, les cercles militants font la même analyse. En effet, la dévaluation de la livre (l'euro est passé en un peu plus d'un mois de 4,7 à 6,1 livres égyptiennes) a provoqué une augmentation des prix, dont ceux des denrées de base comme l'huile, le sucre, la farine, les lentilles... et une augmentation du prix de tous les moyens de transports est prévue pour l'été. La population s'enfonce de plus en plus dans un état d'appauvrissement généralisé. Autant dire que la panique du gouvernement est, du point de vue des manifestants, justifiée. Et ils décident que le 21 mars ne sera pas un remake de la veille.
Répression
Pour ce 21 mars, rendez-vous a été pris au même endroit à la même heure que la veille, après la prière du vendredi. Mais la répression commence dès la sortie de la mosquée - dont la porte a été défoncée -, des jets d'eau et des rangers de soldats de la sûreté centrale attendant à la sortie. Des petits groupes de manifestants parviennent quand même à se diriger vers la place Tahrir. Des petites manifestations apparaissent un peu partout, des groupes d'opposants à la guerre sortent des rues latérales, apparaissent sur les ponts enjambant la place. Pas de banderole ni de drapeau, sauf un drapeau français sur le pont, quelques militants perdus dans une foule qu'ils ne parviennent pas à organiser. Il s'agit d'une explosion spontanée. Près de 50 000 manifestants goûtent pour la première fois le bonheur de battre le pavé d'une ville sortie de son quotidien, lancent des slogans de solidarité avec les peuples irakien et palestinien, mais aussi contre le gouvernement égyptien : "Un, deux, trois, où est l'armée ?" ; "Le dollar est à sept livres."
Aux abords de la place, la répression s'intensifie. Reculant sous les canons d'eau, les manifestants déchirent un portrait de Moubarak aux cris de "saloperie de gouvernement". Puis, un camion des pompiers prend feu, incident pendant lequel les forces de l'ordre restent étonnamment à distance, se gardant d'intervenir, et qui servira par la suite au gouvernement pour justifier la répression. Les soldats de la sûreté centrale poursuivent ensuite les manifestants jusque dans les ruelles des quartiers populaires attenants, précédés par des chiens policiers, blessant et arrêtant à la pelle.
Scène d'horreur
Le soir, une scène d'horreur a lieu quand la sûreté centrale envahit le siège du syndicat des avocats, où les manifestants rescapés sont réunis. Elle lâche les chiens policiers à l'intérieur, bat quatre membres du Parlement et arrête au hasard. Le soir, on compte plus de 1 000 arrestations, des centaines de blessés. Le lendemain, la police arrête des passants au hasard, place Tahrir, et dresse des listes de militants recherchés. A l'intérieur des postes de police ou des campements de la sûreté centrale où les manifestants sont détenus, hommes et femmes sont battus avec une violence inouïe. Une semaine plus tard, de nombreux activistes sont toujours en prison et doivent répondre d'accusations telles qu'"atteinte à l'ordre public" ou "appartenance à une organisation clandestine" devant les parquets de la sûreté d'Etat.
Le mouvement a accusé le coup. Il se remet lentement et une nouvelle manifestation est annoncée pour le vendredi 4 avril, contre la guerre mais aussi contre la position du gouvernement égyptien (également dénoncée par les manifestants syriens) et la répression brutale dont il a fait preuve. Car, les manifestants tunisiens le scandaient les 24 et 25 mars : "Moubarak, espèce de lâche, le peuple égyptien ne se laissera pas humilier."
Du Caire, Layla Badawi.
- Pour exprimer votre solidarité avec le mouvement antiguerre en Egypte, vous pouvez envoyer des lettres de protestation aux adresses suivantes : Président Mohammad Hosni Mubarak, Abedine Palace, Caire, Egypte et Général Habib al-'Adeli, al-Sheikh Rihan Street, Bab al-Louk, Caire, Egypte.
1. Ce regroupement comprend le Comité populaire de soutien à l'Intifada, le Groupe égyptien contre la mondialisation, plusieurs ONG, etc. Il est animé par les divers courants de la gauche, de l'extrême gauche, et par le courant nassérien. Le PND au pouvoir avait organisé une manifestation mascarade le 5 mars - les gens étaient payés pour y aller -, et le meeting antiguerre du 27 février avait principalement été négocié entre le gouvernement et les Frères Musulmans.
Rouge 2011 03/04/2003