21 novembre 2003

Procès ELF - La "pompe Afrique" disculpée

Une fois n'est pas coutume, plusieurs acteurs essentiels du scandale Elf ont été condamnés à de la prison ferme et de lourdes amendes. Mais le trust et son fonctionnement sont blanchis, comme l'Etat.
PDG d'Elf de 1989 à 1993, Loïk Le Floch-Prigent a été condamné à cinq ans de prison ferme, ainsi que son ancien bras droit Alfred Sirven. André Tarallo, le "monsieur Afrique" du groupe, a écopé de quatre ans. Comme l'ensemble des trente-sept prévenus du procès, ils ont été condamnés également à de lourdes amendes, très loin cependant du montant des sommes qu'ils avaient empochées. Justice serait donc faite ? Allons donc : on se souvient comment, en janvier dernier, a été relaxé Roland Dumas, pourtant au coeur de ces affaires de corruption liées à Elf et à Thomson, lorsqu'il était ministre des Affaires étrangères sous les deux septennats de Mitterrand.
Aucun homme politique ne comparaissait dans le procès dont le jugement a été rendu mercredi 12 novembre, personne parmi les hommes des réseaux africains de Pasqua et Chirac ou de leurs successeurs socialistes. Quant à Tarallo, le tribunal a précisé que "c'est à la fin de sa carrière qu'il s'est fourvoyé". Une façon d'accorder un brevet de conduite exemplaire à celui qui fut, pendant plus de trente ans, le "monsieur Afrique" d'Elf, responsable à ce titre de nombre de complots et de guerres civiles fomentés au Gabon, au Congo-Brazzaville ou en Angola.
Pourtant, le dossier d'instruction (1) révèle ce qu'est le fonctionnement normal du groupe et ses liens avec l'Etat. Ainsi y est-il indiqué, en conclusion, que "depuis de nombreuses années, la société Elf avait mis en place un système opaque de versement de commissions destinées à rémunérer des personnalités africaines dans le cadre de sa politique pétrolière. Ce système fonctionnait sous le contrôle de l'Etat. Ce système existait bien avant l'arrivée de M. Le Floch-Prigent le 29 juin 1989 et a perduré après son remplacement par M. Jaffré le 4 août 1993. Le rôle de M. Tarallo dans ces opérations était central. [...] M. Sirven s'est chargé des relations du groupe avec le Cameroun. Il a également noué des liens avec l'opposition angolaise et des personnalités congolaises dans une période marquée par des troubles."
" L'information n'a pu lever le voile sur l'ensemble de ces opérations africaines. Le ministre de l'Economie - qui exerçait sa tutelle - a opposé le secret-défense, la société Elf, soucieuse de ses intérêts, a refusé de coopérer dans ce domaine et les trois principaux dirigeants concernés, à savoir MM. Le Floch-Prigent, Tarallo et Sirven, ont, à des degrés divers, éludé ces questions. Ces facteurs convergents ont constitué autant d'entraves à la manifestation de la vérité."
Une vérité que le procès, dans lequel Elf s'était porté partie civile, a eu pour fonction d'enterrer, le tribunal faisant état, en introduction de son jugement, des "malversations dont a été victime le groupe Elf". Dans le cadre de la justice d'un Etat dont la nature est de servir les intérêts des trusts, il a parfaitement rempli son rôle.
Galia Trépère
1. Certains attendus du dossier sont disponibles sur le site de Radio France Internationale : .
Rouge 2040 20/11/2003