23 décembre 2004

ÉGYPTE - La normalisation avec Israël contestée

L’État égyptien signe un nouvel accord commercial avec Israël, mais la population, socialement étouffée et solidaire des Palestiniens, conteste de plus en plus ouvertement le régime de Moubarak.

« La situation dans le Sinaï est pire aujourd’hui que sous l’occupation israélienne. » Par cet amer constat, un membre du Comité populaire de soutien au peuple palestinien (Lagna) évoque notamment la condition des prisonniers de la ville d’El-Arich, à 50 kilomètres de la frontière avec la bande de Gaza. En effet, depuis les attentats du 7 octobre dernier dans la station balnéaire de Taba, 3 500 personnes sont détenues dans la seule province du Nord Sinaï. Arbitraire total et torture éventuelle s’ajoutent à l’absence de charges contre les prisonniers. Par cette vague de répression sans précédent dans le Sinaï, l’État égyptien cherche en fait à prévenir toute contestation potentielle quant à ses choix stratégiques. Il entend jouer le rôle de supplétif des troupes israéliennes dans la bande de Gaza après l’évacuation de celle-ci. Malgré l’hostilité de l’opinion publique égyptienne, l’heure est à la normalisation des relations entre l’Égypte et Israël. Ainsi, le 10 décembre dernier, une caravane de solidarité, organisée par la Lagna et à laquelle participaient une soixantaine d’Européens, s’est vue bloquée par les autorités égyptiennes peu après le passage du canal de Suez. Si les vivres et les couvertures destinés aux Palestiniens ont pu franchir la frontière, le cortège des quelque 300 personnes parties en autobus du Caire a dû faire demi-tour, après avoir essuyé des coups de matraque. La population d’El-Arich, échaudée par deux mois d’arrestations massives et arbitraires, attendait aussi le passage du convoi. Mais la police a également dispersé la mobilisation dans cette ville pour empêcher toute convergence des solidarités. Si la question palestinienne est aujourd’hui si sensible en Égypte, c’est qu’elle met directement l’État face à ses responsabilités. Or, plutôt que de soutenir les Palestiniens, le président Moubarak mène un ballet diplomatique pour convaincre ses partenaires arabes de normaliser leurs relations avec Israël. Les visées d’une caste militaro-patronale ne sont d’ailleurs pas pour rien dans l’actuelle politique étrangère de l’Égypte. En effet, le 14 décembre, l’Égypte, Israël et les États-Unis entérinaient les Qualified Industrial Zones (QIZ). Cet accord stipule que les produits fabriqués dans quatre nouvelles zones franches égyptiennes pourront pénétrer le marché étasunien sans droits de douane, à condition d’inclure 11,2 % de composants israéliens. À l’origine de cet accord, des entrepreneurs égyptiens proches du fils Moubarak - Gamal, fer de lance de la jeune garde du Parti national démocratique (PND, au pouvoir) - qui cherchent ainsi à protéger leurs entreprises des conséquences de la crise économique et de l’application du Gatt, prévue pour janvier 2005. La pilule a du mal à passer pour une population qui s’enfonce dramatiquement dans la crise économique et qui reste solidaire du peuple palestinien. Le 13 décembre, un millier d’opposants se rassemblaient au centre du Caire contre un éventuel renouvellement du mandat de Moubarak en 2005, ou contre la passation probable du pouvoir à son fils. Dans un pays qui vit sous la loi de l’état d’urgence depuis 23 ans, c’est la première fois que de tels mots d’ordre suscitent une manifestation... Mais sans doute pas la dernière !
Du Caire, Gustavo Strelsky

2004-12-23