19 février 2005

RWANDA - Imprescriptible, L’implication française dans le génocide des Tutsis rwandais est portée devant les tribunaux.

Pour la première fois dans l’histoire du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), un témoin a mis en cause publiquement des militaires français : « Vers fin 1992, dans une forêt près de Gabiro (Est), des miliciens interhamwe recevaient un entraînement militaire. Ils étaient formés par des militaires rwandais mais aussi par des instructeurs militaires français qui dispensaient les techniques de survie. Les miliciens s’y relayaient par cohortes de 500 à 600. [...] Vers fin mai 1993, j’ai vu à deux à trois reprises des miliciens s’entraîner au camp de la garde présidentielle. Les instructeurs étaient des militaires rwandais mais aussi des militaires français » (Fondation hirondelle, 13 janvier 2005, repris par Billets d’Afrique, bulletin de l’association Survie).
Ce que la France avait voulu éviter, depuis dix ans que se traîne l’interminable procédure du TPIR, est désormais posé publiquement devant la justice internationale. Cette déposition intervient dans le même temps que la parution en France de deux ouvrages qui apportent de nouveaux éléments. Avec L’Horreur qui nous prend au visage, l’État français et le génocide au Rwanda1, les éditions Karthala publient, sous la coordination de François Xavier Verschave et Laure Coret, les travaux et débats de la commission d’enquête citoyenne qui s’est tenue en avril 2004 à Paris.
Un autre ouvrage fera date, Imprescriptible, de Géraud de la Pradelle2. Dans son avant-propos au livre, Mehdi Ba en résume la portée : « [...] Du 22 au 26 mars 2004, [Géraud de la Pradelle] a accepté de présider la première session de la commission d’enquête citoyenne sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsis rwandais (CEC) [...]. L’ensemble des informations synthétisées et discutées à cette occasion [...] ont projeté ce juriste, spécialiste du droit humanitaire de la guerre, agrégé de droit privé et de science criminelle, dans une histoire française qu’il ne soupçonnait pas. [...] Il ignorait [...] que le génocide des Tutsis du Rwanda portait l’empreinte de nos guerres coloniales ; que son pays s’était, pour un empire, laissé entraîner dans l’engrenage qui a abouti à l’extermination d’un million d’innocents. [...]
« La stupeur passée, Géraud de La Pradelle a traduit la masse d’informations réunie par la CEC dans une perspective qui lui est familière : celle du droit. [...] jusqu’au plus haut niveau de la hiérarchie, les agents de l’État français ayant joué un rôle dans ce génocide sont susceptibles d’être un jour traduits devant les tribunaux nationaux, voire devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. L’éventail des crimes pouvant leur être reprochés donne le vertige : génocide, complicité dans le génocide, entente en vue de commettre le génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre.
« [...] Géraud de La Pradelle interroge une conception sacralisée du pouvoir lui semblant tout droit issue de la monarchie ; une vision dans laquelle le sommet de l’exécutif peut, à bon droit, décider seul d’engager la nation dans un génocide, tout en se dispensant de rendre des comptes aux citoyens qui l’ont investi. Il met en question une démocratie sans contre-pouvoir réel, où le Parlement et la presse tiennent les rôles de figurants ; un pays où une “armée dans l’armée” - le Commandement des opérations spéciales, véritable “légion présidentielle” - peut mener des guerres secrètes à l’insu du Parlement et du peuple souverain. Pour combien d’années encore ? »
Des magistrats sont d’ores et déjà saisis de plaintes pour génocide et complicité dans le génocide visant des ressortissants français. L’heure des comptes approche, l’imprescriptibilité exclut toute échappatoire. La mémoire des victimes rwandaises, les leçons de ce génocide après celui des Juifs où l’État français s’était déjà trouvé compromis, la prévention de futurs crimes de masse, en Afrique ou ailleurs, l’avenir de la démocratie en France imposent de faire la vérité.
Alain Mathieu
1. L’Horreur qui nous prend au visage, l’État français et le génocide au Rwanda, Karthala, 588 p., 32 euros.
2. Imprescriptible, de Géraud de La Pradelle, Les Arènes, 188 p., 19,90 euros.

2005-02-18