10 février 2005

TUNISIE - Délit de surf

Le mercredi 8 décembre 2004, la Cour de cassation de Tunis confirmait les peines de treize ans de prison pour cinq jeunes Tunisiens que le régime accuse d’appartenance à des réseaux « islamistes intégristes ». Leurs seuls torts : ils auraient utilisé des services d’un web café - lieu particulièrement surveillé par les autorités, Internet étant l’un des derniers espaces de libre expression en Tunisie -, participé à des manifestations au cours de leurs parcours lycéens et fréquenté régulièrement la mosquée. Arrêtés en février 2003, détenus deux semaines au secret et torturés, les jeunes connaissent depuis les conditions d’incarcération des prisons tunisiennes : mauvais traitements, absence totale d’hygiène et de soins, difficultés pour les familles à obtenir des droits de visite...
La confirmation des peines par le rejet du pourvoi en cassation est venue mettre un terme à une procédure caractérisée par l’absence de preuves à charge et de confrontation, et le refus d’audition des témoins. À la suite de ce jugement, l’un des jeunes internautes a tenté de mettre fin à ces jours. Sa mère, Teresa Chopin, domiciliée dans la région parisienne, a réussi à rencontrer son fils le 3 janvier : « Il avait les mains et les pieds rongés par la gale, et des coupures entre les doigts. Il m’a surtout dit qu’il ne tiendrait pas treize ans dans ce trou ! »
Le 10 décembre, un comité pour la libération des jeunes internautes de Zarzis était constitué à Tunis - il en existe aujourd’hui dans plusieurs pays, dont un en France autour de Teresa Chopin et de militants associatifs (). Ce comité a notamment contacté le Premier ministre français pour lui demander d’intervenir en faveur de la libération des jeunes internautes au cours de son récent voyage à Tunis, mais jusqu’à présent la question du respect des droits démocratiques est rarement venue troubler les relations économiques privilégiées entretenues par les gouvernements des deux pays. Le comble de l’ironie est atteint avec la tenue en novembre prochain du Sommet mondial des sociétés de l’information (SMSI), censé lutter « contre la fracture numérique Nord-Sud » à... Tunis, capitale d’un pays où règne la criminalisation de la navigation sur la toile, et où cinq jeunes payent, à titre d’exemple, leur connexion à Internet le prix de la liberté.
Renaud Cornand

Rouge 2005-02-10