10 juin 2005

EXPOSITION - Brésil, l’héritage africain

En cinq siècles d’existence, dont plus de 300 années de traite négrière, le Brésil s’est totalement imprégné de ses origines africaines. En cette année du Brésil en France, le musée Dapper, à Paris, propose une superbe exposition sur la dimension religieuse et artistique de cet héritage. En 1483, des navigateurs portugais atteignent l’embouchure du fleuve Congo. En 1500, Pedro Alvarez Cabral et ses marins débarquent dans une partie du Nouveau Monde qui deviendra le Brésil. Les grands axes du commerce triangulaire sont tracés pour des siècles. Les premières déportations d’esclaves africains vers le Brésil interviennent en 1538. Le trafic ne cessera officiellement, par décret impérial, qu’en 1850, en attendant l’abolition de l’esclavage, en 1888.
On estime à quatre ou cinq millions le nombre d’Africains qui survécurent à la traversée de l’Atlantique, au cours des xviie et xviiie siècles. Leur espérance de vie, une fois arrivés au Brésil, était de sept ans. Mais ce bétail humain - yoruba, fon, congo ou bantou - avait aussi des cultures, des langues, des religions, des arts, des musiques, le savoir-faire du forgeron ou du sculpteur. Dans les navires négriers, les dieux et déesses de l’Afrique traversèrent l’océan aux côtés des esclaves. Les mythes fondateurs africains et l’héritage du royaume du Dahomey ou de la cité légendaire d’Ifé ont pénétré toute la culture brésilienne, malgré le mépris et la répression.
Pour évoquer cet héritage, l’exposition du musée Dapper se concentre sur la religiosité et les arts sacrés, en faisant voisiner des œuvres provenant du Bénin, du Congo ou du Nigéria d’une part, et du Brésil, de l’autre. Dans certains cas, les similitudes sont évidentes. Les mêmes divinités - orixas en yoruba, vodouns en langue fon - sont représentées par des symboles semblables : la hache double de Xango, l’épée de Ogum, les deux enfants jumeaux qui représentent les Ibejis ou les oiseaux en fer forgé qui accompagnent le prêtre devin (babalawo).
Mais l’exposition du musée Dapper propose la mise en regard des œuvres entre elles plutôt que leur simple comparaison. Surprenant, par exemple, ce groupe de saints catholiques du baroque brésilien voisinant avec des nkisis, statuettes magiques du Congo. Ou ces oratoires du Minas Gérais, où se mêlent symboles africains, images de la Vierge, amulettes et ex-voto.
Les cultes et cérémonies d’origine africaine ont été interdits et brutalement réprimés pendant la période esclavagiste... et jusque dans les années 1940. Les divinités africaines se sont alors déguisées en personnages de la religion catholique : sous l’armure de saint Georges terrassant le dragon, on reconnaît Ogum, dieu des forgerons et des guerriers ; Oxala est vénéré sous les traits du Jésus de Bonfim et les feux de la Saint-Jean sont allumés en l’honneur de l’enfant Xango. Quant aux Noirs qui se sont sincèrement convertis au catholicisme, ils privilégient souvent des saints chrétiens, mais noirs. L’exposition propose un remarquable ensemble de statues du xviiie siècle représentant ces « saints noirs », comme Benoît l’Éthiopien, sainte Iphigénie ou Balthazar, le roi mage africain. Aujourd’hui, on admet que plus de la moitié des Brésiliens - sans être forcément considérés comme Noirs ou mulâtres - ont des ancêtres africains. Quand aux autres, qui ne sont « que » d’origine portugaise, syrienne, japonaise ou allemande, rien ne les empêche de consulter un babalawo, de faire de la capoeira ou de danser dans un groupe afro. Comme le chante Gilberto Gil : « L’instrument que nous appelons marimba possède le même son en Afrique. Mais là-bas, on l’appelle balafon. »
Aris Jover
• « Brésil, l’héritage africain », musée Dapper (35, rue Paul-Valéry, Paris 16e, M° Victor-Hugo). Jusqu’au 26 mars 2006. Tous les jours (sauf le mardi) de 11 h à 19 h. Parallèlement à l’exposition et sous le même titre, le musée Dapper publie un ouvrage très complet et riche en photos et gravures (24 euros).

Rouge - 2005-10-06