7 octobre 2005

ALGÉRIE - Dictature tous azimuts

Le pouvoir algérien a tout fait pour présenter le référendum du 30 septembre, sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale, comme l’occasion de solder les années de guerre civile. Derrière une amnistie valant absolution de crimes de guerre, se cache la volonté d’institutionnaliser la dictature. Le « oui » a obtenu 97 %...

Débutant par un vibrant hommage aux services de sécurité, la charte n’absout pas - dans le texte - les généraux de leurs crimes, ceux-ci n’ayant officiellement jamais existé ! Les 6 146 disparus recensés officiellement seraient le fait de « dérapages individuels », inhérents à tout environnement de violence. « Le peuple algérien souverain », dixit la partie IV, rejette « toute allégation visant à faire endosser par l’Etat la responsabilité d’un phénomène délibéré de disparition ». Fermez le ban.
Quant aux victimes des groupes islamistes, traumatisme de la population oblige, le texte prend soin d’écarter de toute amnistie les « individus impliqués dans les massacres collectifs, les viols et les attentats à l’explosif ». Mais aucune enquête officielle n’a jamais visé les repentis descendus des maquis, et toute enquête indépendante est, à l’avenir, de facto interdite. On comprend dès lors que, s’agissant des deux principaux acteurs de la guerre civile, il n’est pas question de tourner la page, mais de l’effacer juridiquement.
Promu « cause sacrée », ce référendum annonce déjà le prochain, qui devrait modifier la Constitution pour permettre à un président adoubé de briguer autant de mandats que possible. Le texte, qui lui donne mission de mettre en œuvre la charte sans limitation de moyens ni de durée, prépare l’avènement au grand jour d’une dictature « portée par le peuple », par la voie d’un coup d’État institutionnel. En fermant une parenthèse historique - « celle du tout démocratique, avec le chaos comme résultat », comme aime à le rappeler Bouteflika, durant laquelle « l’évolution de l’Algérie a été déviée de son cours naturel » -, il s’agit de revenir au seul mode de gouvernement qui aurait fait le bonheur des Algériens avant ces années maudites : le modèle des années 1970, celui d’une dictature policière au service d’un « guide éclairé », agrémentée cette fois-ci de l’ultralibéralisme contemporain.
L’alliance idéologique avec une majorité du mouvement islamiste - corrompue ou convaincue - et une politique économique sauvage préparent l’entrée du pays dans l’OMC, en 2007, et dessinent les contours de l’Algérie rêvée par le pourvoir : une dictature réactionnaire et ultralibérale.
Au service de cette « cause sacrée », la propagande d’État a atteint un niveau inégalé : JT entièrement consacrés aux moindres faits et gestes du prince Bouteflika, retransmission en intégralité de ses meetings, SMS et placards géants dans les rues. La propagande est arrivée jusqu’aux avions d’Air Algérie où, en guise de consignes de sécurité, un appel à voter « oui » était disponible au dos des sièges... En écho, les mesures visant à museler les opposants se sont multipliées, à commencer par les plus répressives : l’arrestation des militants de deux organisations en faveur du boycott, le Front des forces socialistes (FFS) et le Mouvement démocratique et social (MDS), lors de diffusions de tract ou de collages d’affiches, a été systématique. L’appareil d’État relaie ainsi par les gestes les menaces verbales de Bouteflika à l’égard de l’opposition, qualifiée publiquement « d’ennemis de l’intérieur ». Quant aux chefs de l’Armée islamique du salut (AIS)1, qui paradaient à chaque meeting présidentiel, ils y ajoutèrent, tout naturellement, le qualificatif « d’ennemis de l’islam ».
L’enjeu du scrutin ne résidait donc pas tant dans le résultat que dans le taux de participation, révélateur ou non, du succès de l’entreprise. De la résistance active à la défiance passive, ni le boycott kabyle ni l’abstention des grandes villes n’ont été enrayés par la « cause sacrée », contrairement à ce qu’indiquent les chiffres officiels (79 % de participation). À l’ombre du château de cartes institutionnel imaginé par le pouvoir, la crise sociale s’aggrave, portant les germes des révoltes à venir.
Bertrand Éger
1. Ex-branche armée du Front islamique du salut.

Rouge 2005-10-06