2 septembre 2005

Jean Brugié - Entre guerre et paix

Jean Brugié commence une carrière militaire après la Seconde Guerre mondiale. Communiste, il fait la guerre d’Indochine, puis celle d’Algérie, où il est condamné à mort par l’OAS. Il s’interroge alors sur le rôle que le PCF fait jouer à ses officiers. En désaccord sur la question nucléaire, il est exclu du Parti en 1978. Il sera alors successivement rénovateur communiste, animateur de la campagne Juquin et membre de l’Alternative rouge et verte. Son histoire l’amène à écrire, avec Isabelle Sommier, « Officier et communiste dans les guerres coloniales » (Flammarion, 434 pages, 23 euros).

Pourquoi t’engages-tu dès l’âge de treize ans dans la résistance armée ?
Jean Brugié Le point de départ, c’est la guerre contre l’Allemagne. C’est très important, car je pars sur une idéologie « antiboche » et, au contact des maquisards, je deviens antinazi et non antiallemand.
Comment t’es-tu rapproché du PCF ?
J. Brugié - C’est dans l’armée que je viens au PCF, par l’anticommunisme des autres militaires, et principalement à Coëtquidan1, car le discours qu’ils portent sur les communistes ne correspond pas aux communistes que j’ai connus dans le maquis. À la Libération, il y avait des manifestations et dans le Midi, les gens sortaient des drapeaux rouges avec « la sociale » écrit dessus. Pour eux, il existait l’idée qu’avec la Libération arriveraient les réformes sociales. Et moi, je ne savais pas ce qu’était la « sociale ».
Vous étiez une quinzaine d’officiers communistes en Indochine. Selon toi, quelle était la stratégie du PCF par rapport au Viêt-minh ?
J. Brugié - Que peut-on faire comme stratégie avec quinze mecs ? Le Viêt-minh avait des contacts, mais pas avec nous. Ce sont les délégués du PCF et les journalistes qui couvraient la guerre du côté viêt-minh. S’il y a eu une vingtaine d’officiers communistes en même temps, ils étaient dispersés. Durant mon séjour de trois ans, je n’en ai rencontré qu’un seul. Je pense qu’il n’y avait pas de réflexion sur notre rôle. Il y a eu, au comité central, deux ou trois personnes qui s’occupaient de la section coloniale, et celui qui nous a reçus était très proche de Marty. Il pensait que ce qu’il avait été possible de faire au moment de la révolte de la Mer noire pouvait se refaire au Viêt-nam avec le corps expéditionnaire. Avec le recul, cela semble incroyable qu’il ait pu penser que l’on puisse faire se révolter un corps expéditionnaire composé d’engagés volontaires et de troupes coloniales. Les anciens résistants y étaient minoritaires et l’encadrement se composait d’anciens prisonniers de guerre et de ceux qui étaient passés par les commissions d’épuration. Le corps expéditionnaire croyait alors à la notion d’empire colonial et ne parlait que de la France, non de la République française. De plus, les premiers officiers communistes sont arrivés en Indochine avec Leclerc pour combattre le Japon. Après, il y a eu la guerre froide et le corps expéditionnaire s’est retrouvé en pointe dans la guerre contre l’expansionnisme soviétique. D’ailleurs, les États-Unis l’ont aidé car ils considéraient cette guerre comme le prolongement de la guerre de Corée.
Que pouviez vous faire concrètement dans ce contexte politique ?
J. Brugié - On empêchait toutes les exactions telles que les pillages, les incendies, les exécutions sommaires etc. La seule fois où j’ai été confronté à ce type d’affaire, j’ai demandé un ordre écrit et je l’attends toujours ! l Tu pouvais donc être envoyé en première ligne pour « disparaître » au combat... J. Brugié - Pendant un moment, j’ai soupçonné que certains n’auraient pas été mécontents que je me fasse descendre, mais je n’ai pas de preuve. Je suis envoyé dans les unités mobiles et au bout un an, je constate que je suis le seul survivant de mon régiment. J’apparais donc auprès des jeunes comme quelqu’un qui a la baraka, ce qui me donne une certaine légitimité et me permet de parler librement contre cette guerre. Un jour, j’ai fait une démonstration sur une carte où j’avais marqué avec des punaises les endroits où il y avait des unités françaises. Et j’ajoutais : « Voilà ce qu’on tient en Indochine... de jour. La nuit, vous enlevez les points, et les Viets tiennent tout le reste. »
Pendant la guerre d’Algérie, étais-tu en contact avec Rol-Tanguy ?
J. Brugié - Rol a organisé à Versailles une école militaire parallèle pendant que j’étais en Indochine. Je lui donne des renseignements d’ambiance sur ce que je vois du côté français et du côté du FNL. Tous les mois, je lui envoie une quinzaine de pages. De mon côté, j’ai un correspondant en France qui est Michel Herr, puis Jacques Neveux.
Dans cette période de la guerre, tu te trouves coincé, dans les opérations de « maintien de l’ordre », entre Front de libération nationale (FLN) et l’Organisation de l’armée secrète (OAS)...
J. Brugié C’est la période la plus infernale que j’ai vécue. Je suis chargé du maintien de l’ordre en plein centre-ville d’Oran, entre les quartiers « nègre » et « européen ». Les conditions que je pose - à savoir aucune intervention dans ces quartiers - sont acceptées. Un contact arabe me fait savoir qu’une manifestation est prévue. Je l’assure de ma position. Il y avait des tas de personnes à cheval, des youyous, des slogans sur l’indépendance. Du côté européen, ils étaient sidérés. Quelques jours plus tard, en représailles, nous recevons d’un immeuble des rafales de fusils mitrailleurs, au cri d’« Algérie française ». J’ai raté Jouhaux de peu ce jour-là.
Penses-tu aujourd’hui qu’il était possible d’être communiste et officier, et quelles étaient les relations parti/officiers ? J. Brugié - Franchement, je ne sais pas si l’on pouvait allier les deux rôles. Quant aux relations avec le Parti, je n’en ai pas eues directement. Toutes transitaient par les « Versaillais ». J’ai eu des relations avec le parti lorsque j’ai quitté l’armée. J’ai sûrement mythifié le parti, en gardant l’image de 1944.
Propos recueillis par Daniel Vey
1. École d’officiers.

2005-09-01