13 octobre 2005

Meurtres en série

Jamais l’expression « Europe-forteresse » ne s’est avérée plus pertinente. Chaque année, ce sont environ deux mille candidats à l’immigration qui périssent noyés en Méditerranée. À Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles du nord du Maroc, la forteresse prend la forme concrète d’une double clôture métallique que l’Union européenne a voulu porter à six mètres de hauteur. Mais aucune barrière Nord-Sud ne dissuadera les populations africaines de fuir la misère. Les autorités reconnaissent quatorze morts depuis fin août, dont six le 6 octobre à Melilla, mais le nombre réel est certainement plus important. D’autant que l’armée marocaine a fait un pas supplémentaire dans l’ignominie. Elle a raflé des centaines d’immigrés africains et les a abandonnés à leur sort au milieu du désert, du côté de l’Algérie. Selon les ONG, ils seraient près de 700. C’est le prix d’une collaboration efficace avec les politiques migratoires iniques de l’Union européenne. Celle-ci a débloqué une aide de quarante millions d’euros au bénéfice du Maroc, non pour venir en aide aux victimes, mais pour peaufiner l’appareil répressif du garde-frontière. En Libye, Sarkozy a rencontré Kadhafi pour renforcer la « coopération sécuritaire » à l’encontre des immigrés subsahariens. Là aussi, la collaboration s’annonce fructueuse. La Commission européenne parle de « Plan Marshall » pour l’Afrique. Jusqu’à présent, les « aides » n’ont été consenties qu’en échange d’accords de rapatriement et d’une collaboration accrue dans le contrôle des frontières. Le prétendu « Plan Marshall » a toutes les chances d’être du même tonneau. Pour que les Africains puissent espérer un avenir décent, il faudrait commencer par annuler la dette extérieure, mettre fin aux politiques d’ajustement structurel du FMI, ouvrir les marchés européens aux produits du Sud. Au lieu de se demander si l’Europe peut « accueillir la misère du monde », il faudrait qu’elle arrête de contribuer à son aggravation par ses politiques libérales. Une Europe impérialiste si ouverte aux capitaux et à la libre concurrence, mais prête à tuer les populations du Sud qui s’aviseraient de franchir la frontière, n’a d’autre avenir que la barbarie.
Emmanuel Sieglmann

2005-10-13