21 avril 2006

TCHAD - La France aide un dictateur

Idriss Déby, profondément isolé et fragilisé, fait face à une recrudescence des attaques militaires menées par ses anciens affidés. Le régime tient uniquement grâce au soutien militaire que lui accorde la France.Au Tchad, comme dans d’autres pays du « pré carré », tous les présidents successifs depuis les « indépendances » ont été installés au pouvoir par la France. Conforté par quelques escroqueries électorales coorganisées par l’armée et la « coopération » françaises, Idriss Déby règne depuis seize ans sur le Tchad, avec les mêmes méthodes meurtrières et prédatrices que son prédécesseur.

Depuis trois ans, la crise que connaît le régime ne cesse de s’approfondir. Affaibli par la maladie, Déby est remis en cause, y compris par ses proches. Les derniers mois ont été marqués par plusieurs tentatives de coup d’État et par la défection d’importants dignitaires civils et militaires venus grossir les rébellions armées au nord, à l’est et au sud du pays, dont certaines sont soutenues par le Soudan. Enjeu : le partage de la rente pétrolière, qui fait également l’objet d’un conflit ouvert avec la Banque mondiale. Cette dernière s’était engagée dans un projet de pipeline Tchad-Cameroun, violemment contesté par la population et les ONG, et dans le financement d’un consortium pétrolier dirigé par Exxon Mobil. Pour faire passer la pilule, elle avait obtenu du Tchad un accord stipulant le blocage d’une partie des pétrodollars au profit « des générations futures » et la réalisation de projets sociaux prioritaires.
Afin d’accroître ses dépenses militaires et de consolider son appareil répressif, Déby a rapidement dénoncé l’accord et affiché son intention de renégocier la part des recettes pétrolières (12,5 %) revenant au Tchad. Après avoir fermé les yeux sur les premiers détournements, la Banque mondiale fait maintenant mine de découvrir la nature autoritaire et corrompue du régime et, en dépit de l’intercession française, a bloqué les prêts et certains avoirs tchadiens, tandis que le Tchad menace maintenant d’arrêter la production pétrolière.
Déby est également confronté à une forte opposition démocratique intérieure. Après avoir modifié - avec l’appui de la France - la Constitution pour pouvoir briguer un troisième mandat, il venait d’annoncer une élection présidentielle pour le 3 mai prochain. Censée lui conférer une nouvelle légitimité, la mascarade électorale a été dénoncée par un collectif d’associations de défense des droits de l’Homme et boycottée par les principaux partis d’opposition. Dans ce contexte, pour devancer la tenue de l’élection, les mouvements rebelles ont intensifié leurs attaques, jusqu’à parvenir aux portes de la capitale, N’Djamena, le 13 avril dernier.
Tandis que l’Élysée s’agitait au niveau international et obtenait la condamnation par l’ONU et par l’Union européenne d’une tentative de prise de pouvoir par la force, l’armée française a fait venir du Gabon 150 soldats supplémentaires, qui s’ajoutent aux 1 200 déjà présents dans le cadre du dispositif Épervier, sous l’habituel prétexte de protéger les ressortissants français. Malgré les témoignages qui s’accumulent, la France, qui a progressivement reconnu son soutien logistique à l’armée tchadienne, nie toujours la moindre participation aux combats, mis à part un unique « tir de semonce », et déclare ne rien savoir sur les affrontements à N’Djamena.
Depuis 1986, les troupes françaises ont toujours été massivement présentes pour protéger un dictateur aux ordres. Si le Tchad n’est pas officiellement une base militaire française permanente en Afrique, le pays constitue une plateforme stratégique, notamment pour les opérations aériennes. En outre, même si Elf avait renoncé à diriger une extraction pétrolière trop contestée, les intérêts économiques français qui y sont liés restent importants en amont et en aval de cette dernière, sans compter les nombreux trafics habituels en Françafrique. Deby reste donc l’homme de la France... tant qu’elle n’aura pas trouvé de remplaçant fiable.
Raoul Gragnon

2006-04-21