15 décembre 2006

NIGER : le gouvernement aboie, la caravane passe

Les difficultés rencontrées lors de l’organisation de la deuxième édition du Forum social nigérien s’expliquent par la situation de crise sociale et politique que connaît le pays depuis 2005. La crise sociale s’est ouverte au printemps 2005 avec la tentative d’instaurer une TVA à 19 % sur les produits de base : farine, sucre, lait, faibles consommations d’eau et d’électricité. La réaction populaire fut immédiate : 100 000 personnes dans les rues de Niamey le 15 mars 2005, deux journées villes mortes réussies et cette mesure présentée par le porte parole du gouvernement Ben Omar comme incontournable était retirée. La coalition équité/égalité contre la vie chère regroupait toutes les couches de la population : organisations syndicales, divisées mais puissantes, organisations de consommateurs. Les commerçants des marchés, les chauffeurs de taxis, les petits marchands des rues, etc., tout le monde participait à la mobilisation. Pour éviter une crise politique, le gouvernement fut contraint de reculer et de créer une taxe foncière en compensation partielle du manque à gagner, taxe que les propriétaires fonciers, politiciens, gros commerçants se sont empressés de répercuter sur le prix des loyers.

La perte de crédibilité du pouvoir s’est accrue à la fin de l’année 2005 à cause de la gestion calamiteuse de la disette. Incapable de faire face à l’invasion acridienne, le pouvoir a géré de manière catastrophique l’aide alimentaire. Le problème n’était effectivement pas tant le manque de mil ou de riz que le prix de ces aliments. Les réserves des commerçants étaient pleines mais ceux-ci jouaient la hausse, voire vendaient au Nigeria voisin où le pouvoir d’achat est plus important. L’année 2006 n’a fait qu’aggraver la crise. L’augmentation du prix de l’énergie a touché de plein fouet la population. Le litre d’essence a atteint 660 francs CFA (un euro environ !), quand le salaire moyen, chose rare au Niger où l’informel représente 70 % de l’activité est de 75 euros. La coalition relança la mobilisation et d’importantes manifestations eurent lieu en septembre. Refusant la crise, la coalition chercha le compromis avec le gouvernement. Le prix de l’essence baissa au 1er novembre à 580 francs CFA. La crédibilité du gouvernement en subit les conséquences, avec en plus les jeux internes pour la succession du président.

L’organisation du Forum social, suivi de la deuxième caravane des alternatives sociales faisait donc craindre au pouvoir une mobilisation qui remette en cause sa politique. Les organisations membres du Forum, la Confédération démocratique des travailleurs du Niger (CDTN), principale confédération syndicale, la plate-forme paysanne, les radios communautaires, l’union des étudiants, des scolaires, les organisations féminines et féministes, le réseau national dette et développement (RNDD), etc., possèdent la légitimité des combats des deux dernières années. Le gouvernement commença donc par interdire le Forum, l’argument essentiel avancé étant le risque que ce forum soit le lieu d’un procès des autorités fait par des étrangers. Puis un compromis fut trouvé, le forum fut reporté, empêchant ainsi la participation des délégués de l’intérieur du pays. La manifestation inaugurale et le concert d’ouverture furent à leur tour interdits, de peur de voir cette marche se transformer en dénonciation des politiques sociales du gouvernement. Malgré cela, et en partie à cause de la publicité faite par ces interdictions, le forum fut une réussite. Plus de mille personnes participèrent aux trois jours de débats : syndicalistes, étudiants, retraités, paysans, femmes, « déguerpis » des quartiers populaires… Partout revenait un thème central, le lien entre la corruption du régime et les politiques libérales menées, la nécessité de construire des alternatives sociales. Le porte-parole du gouvernement avait dénoncé ce forum comme porteur de ‘politiques sociales, au service des pauvres’ (sic !) alors que les élections avaient maintenu au pouvoir un gouvernement ‘libéral’ !!

Les innombrables tracasseries des autorités ont continué, notamment pendant la caravane des alternatives sociales, qui a touché des milliers de personnes, en particulier lors des concerts du soir, véritables meetings sur la dette. Mais malgré tout cela, le mouvement social nigérien sort renforcé de ces initiatives et c’est bien l’essentiel.

Afriques en Lutte, Décembre 06