15 janvier 2007

France - Rwanda : l’impunité, jusqu’à quand ?

La France est de plus en plus isolée dans son bras de fer contre le gouvernement rwandais. Aucun pays européen ne suit la logique du rapport Bruguières. Au moment où Kigali reproche à la France de protéger des génocidaires, le 28 décembre, quatre rwandais étaient arrêtés par les autorités britanniques et accusés d’incitations au meurtre lors du génocide. En France, aucun des rwandais génocidaires présumés, résidant en France, n’ont été, ces dernières années, arrêtés ou condamnés. C’est le cas de Bucyibaruta, ancien préfet de Gigonkoro, exilé en France et recherché par le TPIR (tribunal pénal international sur le Rwanda), après d’autres, comme Munyeshyaka, Serubuga, Bizimungu, impliqués dans le génocide, laissés libres, non poursuivis, acquittés ou leurs dossiers classés. Certains ont même obtenu le statut de réfugiés. Les procédures judiciaires liées au génocide font ressortir de nouveaux éléments. 105 documents de la DGSE relatifs au Rwanda ont été déclassifiés et versés à l’instruction devant le Tribunal aux armées. Le Monde en donne un aperçu instructif : les fins limiers de la DGSE n’ont pas vu de « génocide », mot qu’ils n’emploient pas. Il n’ont rien vu et rien à dire sur l’attentat contre l’avion d’Habyarimana, devenu pourtant pour Bruguières la clé de tout. Par contre, ils ont vu que « le capitaine Barril, dirigeant de la société Secret, exerce, en liaison avec la famille de l'ex-président Habyarimana (...), réfugiée à Paris, une activité remarquée, en vue de fournir des munitions et de l'armement aux forces gouvernementales. » Paul Barril était en effet au Rwanda autour du 6 avril pour un contrat de vente d'armes conclu en mai 1993 par le gouvernement de Kigali avec un marchand d’armes français, Dominique Lemonnier.

Au Rwanda, la Commission nationale d’enquête sur le rôle de la France dans le génocide a auditionné de nouveaux témoins ; Isidore Nzeyimana, ancien membre des ex-Forces armées rwandaises (ex-Far), formé à l’artillerie lourde, a indiqué qu’au début de la guerre, les Français ont « outrepassé le mandat de coopération militaire » en fournissant à l’armée rwandaise « le système de communication militaire, de nouveaux hélicoptères à infrarouge, ainsi que des blindés». « A l’époque, les soldats français ont voulu lancer des bombes à phosphore sur le FPR dans les maquis de la forêt des volcans et c’est le gouvernement rwandais qui s’y est opposé en raison des ravages potentiels de cette arme sur l’environnement, notamment le parc naturel »... Jean Damascène Kaburame, des ex-Far, a confirmé que « les Français ont formé les miliciens Interahamwe et ont fourni des armes aux civils dans la stratégie d’auto-défense civile. Ces entraînements étaient donnés essentiellement à Gabiro. » Deux Rwandaises, venues se mettre sous la protection de l'armée française pendant le génocide, ont accusé des militaires français de l'opération "Turquoise" de les avoir violées : « Les Français avaient pour habitude de venir chercher dans les tentes abritant des réfugiés des jeunes filles, dont moi-même, pour leur donner de la bière et des cigarettes. Une fois saoules, ils avaient des rapports forcés avec nous, un grand nombre de soldats français, dont certains prenaient des photos de nous ».

Le président du Rwanda, Paul Kagamé, a déclaré fin novembre : « l’heure est venue de mettre fin à l'ingérence de la France dans les affaires internes des Rwandais », « il est temps de substituer une autre culture africaine à la Francophonie ». Il a critiqué la politique du gouvernement français dans ses anciennes colonies, et pas seulement au Rwanda : « non seulement il a soutenu le génocide perpétré au Rwanda en 1994, mais également joué un rôle en faveur des violences survenues dans plusieurs pays africains », ajoutant : « Nous pouvons, nous aussi, émettre des mandats contre des officiels français impliqués dans le génocide. Contre d'anciens militaires et des responsables politiques. Je vais donner un exemple : Dominique de Villepin était à l'époque au cabinet (directeur) du ministre des Affaires étrangères ».

De leur côté, les militaires français qui ont participé à l'opération « Turquoise » ont fondé une association pour «rétablir la vérité» et « défendre les militaires » si ceux-ci venaient à être cités à comparaître. Le général Lafourcade, qui fut le commandant de cette opération, est le président de l'association France-Turquoise, dont les membres sont « fiers de ce que nous avons fait au Rwanda » et considèrent les plaintes déposées comme « intolérables ». Lors de la première conférence de presse de cette association, à l'Assemblée nationale le 6 décembre, ils étaient entourés de responsables politiques et de journalistes en un surprenant aréopage d’avocats improvisés : Bernard Debré, ministre de la coopération en 1994, Pierre Péan journaliste, auteur du livre qui a inspiré le rapport Bruguières, Bernard Lugan historien d’extrême-droite, le député UMP J. Myard, mais aussi le député PS Henri Emmanuelli. Jusqu’à quand la gauche libérale couvrira la politique mitterrandienne au Rwanda ?

Afriques en lutte, Janvier 07