17 février 2007

Amandla ! Owetu !


Sous la grande tente « Amilcar Cabral » où se déroule l’assemblée des mouvements sociaux, des centaines de militant-e-s venu-e-s du monde entier, emmené-e-s par une enthousiasmante jeune sud-africaine, reprennent en chœur le mythique cri de ralliement de la lutte anti-apartheid. Amandla ! Owetu ! Pouvoir au peuple ! Cette image parmi les plus inspirantes du forum social mondial de Nairobi, exprime à la fois toute la force et la permanence des luttes en Afrique, ainsi que leur profond internationalisme. Pour sa septième édition placée sous le thème « luttes du peuple, alternatives du peuple », le FSM s’est donc installé en terre africaine. Sur un continent marqué plus que tous les autres par les ravages du néolibéralisme et de la guerre, il s’agissait de mettre en avant des mouvements sociaux riches d’une longue histoire, souvent méconnue, de luttes, de résistances et de recherches d’alternatives. Parmi les 40000 personnes qui se sont retrouvées dans la capitale kényane, près d’un tiers était des délégué-e-s africain-e-s, ce qui correspond à la plus grande participation africaine depuis la naissance du mouvement. Les débats du forum, qui a commencé et s’est terminé par une longue manifestation partie du plus grand bidonville de toute la région, avaient une résonnance à la fois globale et très locale. Que ce soit sur les questions de santé publique, alors qu’il est estimé que d’ici 2015 près de 120 millions d’africains risquent de mourir par manque d’accès aux soins, sans parler des ravages actuels de la pandémie du Sida ; ou à propos de la lutte anti-guerre alors que quelques jours auparavant des avions étatsuniens bombardaient la Somalie voisine. Les mouvements de femmes étaient également très présents, ainsi que les réseaux religieux très actifs, au côté des grandes ONG, sur le continent.

Si la diversité de ce mouvement constitue sa force, cela ne va pas toujours sans contradictions. Ainsi la prise en charge de débats sur les droits des femmes ou la lutte contre le Sida par des structures confessionnelles peu connues pour leur vision « progressiste » sur ce type de sujets a aussi créé la polémique. Mais on a aussi pu voir, par exemple, des réseaux comme celui des gays et lesbiennes africains revendiquer haut et fort l’égalité des droits pour tous, avec le soutien de personnalités comme l’archevêque sud-africain Desmond Tutu. Outre les nombreux débats, des manifestations quotidiennes et plusieurs actions ont ponctuée le FSM. Parmi les plus spectaculaires, l’action de réseaux kényans et internationaux qui se sont mobilisés pour exiger l’accès gratuit au FSM pour les populations pauvres. L’entrée aux débats s’élevait pour les Kényans à près de 500 shillings, soit l’équivalant d’une semaine de salaire pour le travailleur moyen. Après deux jours de mobilisation, l’entrée gratuite a été gagnée pour tous les Kényans. Dans le même genre, une action « repas gratuits » a été organisée contre un restaurant, appartenant au ministre de l’intérieur kényan, qui proposait des repas à des prix prohibitifs. La présence en grand nombre de ce type de stands a suscité de vives critiques sur la « marchandisation » du forum social.

Ce fut une des revendications reprises lors de l’assemblée des mouvements sociaux qui s’est tenue à la fin du forum. Au cœur du débat l’enjeu désormais crucial pour le FSM de franchir une nouvelle étape. Pour l’économiste égyptien Samir Amin, il s’agit désormais de passer de la résistance à l’offensive, de s’organiser plus efficacement, pour commencer à construire des alternatives concrètes. C’est autour de cette perspective générale que se sont déclinés les prochains rendez-vous de mobilisation internationaux qui devraient culminer avec la journée d’action mondiale de 2008 qui aura lieu en remplacement du FSM. Parmi les grandes dates : mobilisation internationale anti-guerre le week-end du 20 mars, pour le droit au logement en mai, contre le G8 à Rostock en Allemagne en juin, pour l’annulation de la dette en octobre, contre le dérèglement climatique en décembre. Autant de moments qui seront l’occasion de réaffirmer la nécessité et l’urgence, pour ceux d’en bas, de construire une alternative au désordre mondial qui nous gouverne aujourd’hui.


Danielle Obono


Afriques en lutte, février 07