10 mars 2007

Abdelmajid Bouhjila - Prisonnier en Tunisie

Abdelmajid Bouhjila est le père d’Abdellatif Bouhjila, prisonnier politique tunisien condamné le 25 novembre 2000 à dix-sept ans d’emprisonnement pour appartenance à une association non reconnue. En appel, sa peine a été réduite à onze ans. Il en a déjà effectué plus de huit et souffre d’affections rénale, cardiaque et respiratoire. Actuellement incarcéré à la prison de Mornaguia, il a eu recours à de nombreuses et longues grèves de la faim pour faire valoir ses droits élémentaires. Sa situation est suivie par Amnesty International et l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat).

Votre fils fait la grève de la faim à la prison de Mornaguia de Tunis. Depuis combien de temps vous refuse-t-on la visite ?

Abdelmajid Bouhjila - Depuis six semaines. Je me rends chaque semaine à la prison et on me renvoie sans explication. Pourtant, l’administration de la prison continue à tamponner ma carte de visiteur comme si j’avais pu le voir. Abdellatif a commencé sa grève de la faim début novem­bre 2006. Il a eu une crise et, alors qu’ils l’emmenaient à l’hôpital, le chef du pavillon, Taoufik, l’a frappé et il a hurlé. Pour le punir, ils l’ont mis au « siloun » (cachot) pendant dix jours. Il s’est alors mis en grève de la faim. Il m’a raconté qu’ils ont voulu l’alimenter de force. Ils l’obligent à ingurgiter du lait, mais il se débat, il refuse, il recrache. J’ai su aussi qu’ils filmaient ces scènes.

Àquelles fins ?

A. Bouhjila - Ils veulent sans doute montrer qu’ils font leur travail, au cas où... J’ai su que la Croix-Rouge lui a rendu visite, ce qui m’a rassuré. Depuis six semaines, je ne l’ai pas revu, et je pense qu’il est toujours en grève de la faim, car il m’a dit qu’il continuait. Le fait qu’on m’interdise de le voir me prouve qu’il est toujours en grève.

Ce n’est pas la première fois que votre fils est en grève de la faim. A-t-il obtenu des résultats par ces grèves ?

A. Bouhjila - En huit années et demi d’emprisonnement, mon fils a fait 1 100 jours de grève de la faim. Lors de son procès, auquel il a assisté sur un brancard, il était en grève de la faim depuis plus de trois mois. Il a souvent mené de longues grèves de la faim et il a obtenu ce qu’il voulait. Ainsi, lorsqu’il était à la prison de Bizerte, pour nous, ses parents, c’était trop éloigné pour lui rendre visite. Il a donc fait la grève de la faim. Il a été hospitalisé une semaine à Tunis, puis finalement transféré dans une prison de Tunis.

Où habitez-vous ?

A. Bouhjila - À Mégrine. Nous voulions qu’il soit incarcéré à Tunis, pour pouvoir lui rendre visite. De la prison de Tunis, il a été transféré à la prison de Bizerte. Il a fait une grève de la faim d’un mois et demi, puis il a été ramené de nouveau à la prison de Tunis. Il a gagné encore une fois. Et ainsi de suite. Par une grève de la faim, il a obtenu la mutation d’un agent à un autre poste. À une autre occasion, alors qu’il était à la prison de Tunis, il a fait la grève de la faim pour obtenir d’être soigné. Ils l’ont transféré à la prison de Sousse, puis hospitalisé à Sousse. Mais le médecin de Sousse ne pouvait rien faire puisqu’il n’était pas le médecin qui l’avait opéré, et il n’avait même pas son dossier médical, resté à l’hôpital de Tunis. Alors ils ont dû le ramener à Tunis.

Quelles sont les conditions de visite ?

A. Bouhjila - Pour rendre visite, le trajet est très long. Une fois sur place, j’attends d’abord deux heures à l’extérieur, sous le soleil l’été et sous la pluie et le vent l’hiver, puis à l’intérieur. Les parloirs de la nouvelle prison ont été améliorés car avant, je ne voyais même pas mon fils derrière les grillages. Aujourd’hui, il y a des vitres mais on ne peut se parler qu’en utilisant un interphone. La visite ne dure que vingt minutes.

Les conditions pour lui parler sont-elles meilleures lorsqu’il est hospitalisé ?

A. Bouhjila - Quand Abdellatif est à l’hôpital, il est dans une salle avec d’autres malades et la visite dure plus longtemps, jusqu’à une heure. Mais je ne peux pas oublier qu’il est prisonnier : la salle est gardée par plusieurs agents et Abdellatif est enchaîné par le pied à son lit. Et puis, pour avoir droit à cette heure de visite, j’ai une journée entière à passer dans les transports en commun. Car avant de me présenter à l’hôpital, je dois aller à la prison retirer une autorisation de visite à l’hôpital, puis me rendre à l’hôpital qui est quelquefois loin de la prison ou de chez moi. Il m’est arrivé d’être obligé de faire toute la journée des allers-retours entre la prison et l’hôpital, pour ne finir par voir mon fils que vers cinq heures du soir et pour une demi-heure seulement.

Toute votre vie est ainsi centrée sur Abdellatif ?

A. Bouhjila - Il y a huit ans et demi que mon fils est en prison. Je n’ai jamais manqué une seule visite. J’ai 77 ans et suis le seul de la famille à pouvoir le faire. Sa mère a 78 ans et elle est si fatiguée qu’elle ne peut se déplacer chaque semaine.

Vous êtes membre de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP)...

A. Bouhjila - Oui, j’en suis un des membres fondateurs. Et, en tant d’années, j’ai connu beaucoup de familles de prisonniers politiques qui viennent rendre visite à leurs proches. Mon fils a été incarcéré à Tunis, à Bizerte, à Sousse, et enfin à Tunis. Nous avons fondé tous ensemble l’AISPP. Maintenant, j’organise la solidarité avec les familles, à mon tour je les reçois. J’essaie de les aider, j’ai un grand cœur. Je souffre d’entendre ce qu’elles ont à dire. Avec l’AISPP, les familles ont quelqu’un qui les écoute, qui les reçoit. On se parlait déjà devant les prisons, mais maintenant les familles savent qu’elles trouveront quelqu’un à qui parler, maintenant nous nous battons tous ensemble.

Ces derniers mois ont vu un regain d’activité des familles de prisonniers politiques, même une manifestation place de Barcelone à Tunis...

A. Bouhjila - Oui, maintenant, les familles n’ont plus peur. Il y a du défi dans l’air. Cette manifestation était spontanée. Elle a été dispersée aussitôt par la police, comme à chaque fois que les familles se regroupent. Dans la dernière période, beaucoup de familles sont venues se plaindre de ce que leurs enfants avaient été arrêtés, torturés. Les bureaux des avocats ne désemplissent pas. Vous voyez, je n’ai jamais été isolé, ni avant l’association, ni après. Je reçois aussi constamment des cartes de l’étranger, envoyées par des gens d’Amnesty International. Rien qu’en ce début d’année, j’en ai reçu pas moins d’une vingtaine. Je leur en suis reconnaissant.

Vous rentrez à Tunis. Quand a lieu la prochaine visite à Abdellatif ?

A. Bouhjila - Le mardi 27 mars, si on m’y autorise.

Propos recueillis par Luiza Toscane

• Pour écrire à Abdellatif Bouhjila : Abdellatif Ben Abdelmajid Bouhjila N° 40 533, Prison de Mornaguia, 1110 Mornaguia, Gouvernorat de Mannouba Tunisie.