Epuration ethnique au Darfour : la communauté internationale compte les morts
La guerre au Darfour (nord-ouest du Soudan) est encore fréquemment présenté sous la forme d’un conflit entre populations arabes et noires, tant est profondément ancrée l’idée que les conflits en Afrique sont forcément des conflits ethniques ou tribaux. Il n’en est rien : l’identité « arabe » est à géométrie variable. Si elle est instrumentalisée politiquement, elle sert d’alibi et non de moteur. La question se pose davantage en terme de redistribution des richesses entre régions périphériques délaissées et la région centrale où règne la junte militaire de Omar El Bechir. Il en était de même pour le conflit au sud Soudan, autour du partage de la rente pétrolière.
L’armée soudanaise est aux prises au Darfour avec plusieurs rebellions militaires dont les principales sont le Mouvement pour la Justice et l’Egalité (MJE), le Mouvement de Libération du Soudan (MLS), qui a éclaté en plusieurs fraction après qu’une de ses composantes ait accepté un accord de paix avec Khartoum, et les Forces pour la Rédemption Nationale (FRN).
Mais le conflit est surtout marqué par les exactions commises par les milices janjawids à l’encontre des populations civiles. Le Conseil des droits de l'homme des Nations unies vient de rendre un rapport qui « révèle » ce qui est depuis longtemps un secret de polichinelle : ces milices, bien que Khartoum s’en défende, sont des supplétives des forces gouvernementales, par lesquelles elles sont armées et avec lesquelles elles mènent des opérations visant à terroriser la population, notamment en « terminant le travail » après les bombardements aériens sur les villages. Les tueries massives, les viols comme arme de guerre et l’empoisonnement des puits pour interdire le retour des populations ne laissent aucun doute sur la stratégie d’épuration ethnique qui est menée, et qui vise à priver les mouvements rebelles de toute base arrière, et peut-être à rendre une future exploitation pétrolière plus facile dans une zone vidée de sa population.
Depuis 2003 on compte environ 400 000 morts et plus de 2 millions de personnes qui ont fuit le pays et vivent aujourd’hui parqués dans des camps, au Soudan ou dans les pays frontaliers comme le Tchad. Les réfugiés, de même que les équipes humanitaires qui les encadrent ne sont pas à l’abri de violences récurrentes, dans le but évident de pousser les humanitaires au départ et de condamner les réfugiés à une mort lente. La Libye, qui a alimenté l’idéologie raciste des janjawids est également impliquée dans le conflit, de même qu’Idriss Deby au Tchad, qui soutient les rébellions opposées à El Béchir, lequel lui a rendu la pareille.
L’Onu multiplie les résolutions sans conviction, et sollicite l’autorisation de Khartoum pour déployer une force d’interposition, censée remplacer 7500 hommes envoyés par l’Union Africaine qui recensent impuissants les massacres. Le Soudan est soutenu par la Chine, qui absorbe les deux tiers de ses exportations de pétroles et qui est son premier fournisseur d’armes. Georges Bush roule des mécaniques pour des raisons essentiellement électorales, mais la CIA maintient des liens avec les services secrets soudanais, considérés comme des partenaires dans la « guerre contre le terrorisme ».
En France, après un appel de plusieurs ONG et un meeting qui s’est tenu mardi dernier à Paris, tous les candidats se déclarent maintenant favorable à des sanctions, tel le gel des avoirs financiers des responsables, même si ceux-ci ne sont pas nommés. Mais cette subite prise de conscience laisse perplexe au regard d’un passé tout de même très récent. Depuis 15 ans, la France a toujours fermé les yeux sur les crimes commis par les dirigeants soudanais et procédé à des échanges de petits services inavouables. El Béchir était récemment invité à Cannes par Chirac. Enfin Total a des permis qu’il voudrait voir débloqué dans le sud Soudan, et le Médef fait les yeux doux au régime soudanais. La chambre de commerce de Paris invitait par exemple en novembre dernier une centaine d’entreprises françaises à rencontrer des représentants du gouvernement soudanais sur le thème « Soudan, un marché à découvrir ». Une fois de plus, les crimes contre l’Humanité sont solubles dans les profits...
Robin Guébois
29 mars 07
La guerre au Darfour (nord-ouest du Soudan) est encore fréquemment présenté sous la forme d’un conflit entre populations arabes et noires, tant est profondément ancrée l’idée que les conflits en Afrique sont forcément des conflits ethniques ou tribaux. Il n’en est rien : l’identité « arabe » est à géométrie variable. Si elle est instrumentalisée politiquement, elle sert d’alibi et non de moteur. La question se pose davantage en terme de redistribution des richesses entre régions périphériques délaissées et la région centrale où règne la junte militaire de Omar El Bechir. Il en était de même pour le conflit au sud Soudan, autour du partage de la rente pétrolière.
L’armée soudanaise est aux prises au Darfour avec plusieurs rebellions militaires dont les principales sont le Mouvement pour la Justice et l’Egalité (MJE), le Mouvement de Libération du Soudan (MLS), qui a éclaté en plusieurs fraction après qu’une de ses composantes ait accepté un accord de paix avec Khartoum, et les Forces pour la Rédemption Nationale (FRN).
Mais le conflit est surtout marqué par les exactions commises par les milices janjawids à l’encontre des populations civiles. Le Conseil des droits de l'homme des Nations unies vient de rendre un rapport qui « révèle » ce qui est depuis longtemps un secret de polichinelle : ces milices, bien que Khartoum s’en défende, sont des supplétives des forces gouvernementales, par lesquelles elles sont armées et avec lesquelles elles mènent des opérations visant à terroriser la population, notamment en « terminant le travail » après les bombardements aériens sur les villages. Les tueries massives, les viols comme arme de guerre et l’empoisonnement des puits pour interdire le retour des populations ne laissent aucun doute sur la stratégie d’épuration ethnique qui est menée, et qui vise à priver les mouvements rebelles de toute base arrière, et peut-être à rendre une future exploitation pétrolière plus facile dans une zone vidée de sa population.
Depuis 2003 on compte environ 400 000 morts et plus de 2 millions de personnes qui ont fuit le pays et vivent aujourd’hui parqués dans des camps, au Soudan ou dans les pays frontaliers comme le Tchad. Les réfugiés, de même que les équipes humanitaires qui les encadrent ne sont pas à l’abri de violences récurrentes, dans le but évident de pousser les humanitaires au départ et de condamner les réfugiés à une mort lente. La Libye, qui a alimenté l’idéologie raciste des janjawids est également impliquée dans le conflit, de même qu’Idriss Deby au Tchad, qui soutient les rébellions opposées à El Béchir, lequel lui a rendu la pareille.
L’Onu multiplie les résolutions sans conviction, et sollicite l’autorisation de Khartoum pour déployer une force d’interposition, censée remplacer 7500 hommes envoyés par l’Union Africaine qui recensent impuissants les massacres. Le Soudan est soutenu par la Chine, qui absorbe les deux tiers de ses exportations de pétroles et qui est son premier fournisseur d’armes. Georges Bush roule des mécaniques pour des raisons essentiellement électorales, mais la CIA maintient des liens avec les services secrets soudanais, considérés comme des partenaires dans la « guerre contre le terrorisme ».
En France, après un appel de plusieurs ONG et un meeting qui s’est tenu mardi dernier à Paris, tous les candidats se déclarent maintenant favorable à des sanctions, tel le gel des avoirs financiers des responsables, même si ceux-ci ne sont pas nommés. Mais cette subite prise de conscience laisse perplexe au regard d’un passé tout de même très récent. Depuis 15 ans, la France a toujours fermé les yeux sur les crimes commis par les dirigeants soudanais et procédé à des échanges de petits services inavouables. El Béchir était récemment invité à Cannes par Chirac. Enfin Total a des permis qu’il voudrait voir débloqué dans le sud Soudan, et le Médef fait les yeux doux au régime soudanais. La chambre de commerce de Paris invitait par exemple en novembre dernier une centaine d’entreprises françaises à rencontrer des représentants du gouvernement soudanais sur le thème « Soudan, un marché à découvrir ». Une fois de plus, les crimes contre l’Humanité sont solubles dans les profits...
Robin Guébois
29 mars 07