Le 9 juin dernier c’est un grand militant africain qui est mort en la personne de Sembène Ousmane. Fils de pêcheur sénégalais devenu tour à tour tirailleur, docker, syndicaliste CGT, membre du PCF, militant anti-impérialiste (contre la guerre d’Indochine et d’Algérie notamment), écrivain, cinéaste, Sembène Ousmane était surtout, surtout un infatigable militant, qui n’a jamais abandonné la cause des exploités et des opprimés. Parmi sa prolifique production artistique (pas moins de huit romans et treize films), nombres d’œuvres significatives qui parlent, mieux que quiconque de l’engagement d’un homme qui concevait son travail cinématographique en particulier comme « politique, polémique et populaire ». Ainsi, en 1960, dans son troisième roman, les Bouts de bois de Dieu il nous raconte l’histoire de la grève des cheminots en 1947-1948 du Dakar-Niger, la ligne de chemin de fer qui relie Dakar à Bamako. L’histoire se déroule parallèlement à Dakar, Thiès et Bamako sur fond de colonialisme et de lutte des cheminots pour accéder aux mêmes droits que les cheminots français. Huit ans plus tard en 1968, alors que les « soleils des indépendances » ont commencé à sérieusement décliner, il publie Le mandat, une comédie acerbe contre la nouvelle bourgeoisie sénégalaise, qui sera l’un de ses plus grands livres. Au cinéma aussi il est précurseur quand en 1988 il réalise Le Camp de Thiaroye, film hommage aux tirailleurs sénégalais et surtout dénonciation d’un épisode accablant pour l'armée coloniale française en Afrique, qui se déroula à Thiaroye en 1944 (le film sera d’ailleurs censuré en France). Ou encore en 2000 quand il débute son triptyque (qui restera donc inachevé) sur « l’héroïsme au quotidien », dont les deux premiers volets sont consacrés à la condition de la femme africaine. Le second, Mooladé (2003), aborde de front le thème très sensible de l’excision.
En présentant ce grand roman qu’est Les bouts de bois de dieu, et en hommage à ses Banty mam yall, Sembène Ousamne écrivait : « Les hommes et les femmes qui, du 10 octobre 1947 au 19 mars 1948, engagèrent cette lutte pour une vie meilleure ne doivent rien à personne ni à aucune « mission civilisatrice », ni à un notable, ni à un parlementaire. Leur exemple ne fut pas vain : depuis, l’Afrique progresse.» Si depuis, le chemin a en fait été beaucoup plus tortueux que prévu, c’est l’exemple d’hommes tels celui-là, qui continue à nous indiquer la voie à suivre, celle de l’engagement, du courage et de l’intégrité. Merci pour ça, camarade Sembène.