11 février 2008

TCHAD : manœuvres militaires et médiatiques

Contrairement à ce que la propagande habituelle a tenté de nous faire croire, la France est à nouveau intervenue militairement au Tchad.


I
l n’y a « jamais eu aussi peu d’intervention de la France » affirmait Kouchner au terme de la dernière offensive des rebelles tchadiens. Depuis que les anciens fidèles d’Idriss Déby, armés par le Soudan, ont à nouveau tenté de le renverser pour mettre la main sur la rente pétrolière, les autorités françaises n’ont cessé de répéter qu’aucun soldat français n’avait pris part aux combats, version complaisamment relayée par la plupart des médias. Il s’agit de ne pas compromettre l’Eufor, la force européenne qui devait se déployer au Tchad et en Centrafrique, officiellement pour sécuriser les camps de réfugiés. Celle-ci a en effet été décidée en dépit de fortes réticences des autres pays européens, qui soupçonnent, à juste titre, la France de vouloir l’instrumentaliser pour consolider sa présence militaire néocoloniale.

La pénétration rapide des rebelles, leurs déclarations triomphalistes, l’offre faite à Déby par la France de l’exfiltrer ont d’abord fait penser que l’Elysée envisageait de remplacer son protégé, comme elle l’avait fait par le passé dans des circonstances analogues. Simple avertissement, changement de stratégie ou manipulation initiale ? Toujours est-il que le ton a rapidement changé, affirmant un soutien sans faille à un régime soit disant élu et légitime. Tellement légitime qu’il profitait des combats pour rafler des opposants civils dont on est toujours sans nouvelle, et au sujet desquels les ministères français de la Défense et des Affaires étrangères jouent les autistes… Sarkozy obtenait par contre un vote du conseil de sécurité autorisant une éventuelle intervention française, de manière à dissuader des renforts militaires venus du Soudan. En effet, la France n’a pas avec le Tchad d’accord de défense, mais de « simples » accords d’assistance militaire. C’est au nom de ceux-ci que l’armée française fournit une aide médicale, logistique (transport, entretiens du matériel militaire, fourniture de carburant et de munitions), et du renseignement. Autant dire que sans l’armée française, l’Etat major tchadien est sourd, aveugle et manchot. Ce n’est donc pas rien… mais ce n’était pas tout.

On apprenait progressivement, car deux soldats français avaient été blessés, qu’en fait de balles perdues, les forces françaises s’étaient affrontées aux troupes rebelles pour garder le contrôle de l’aéroport. Officiellement, il s’agit de sécuriser l’évacuation de nos ressortissants. Mais l’armée française sécurisait par la même occasion les hélicoptères de combats tchadiens et les mercenaires qui les pilotent, lesquels ont joué un rôle décisif dans les combats. Sarkozy, qui avait déjà accordé des missiles Milan au Tchad au moment de l’affaire « Arche de Zoé », a obtenu la livraison en urgence de plusieurs tonnes d’obus pour les chars tchadiens, en provenance de Tripoli, et peut-être d’Israël. Par ailleurs, Le Canard Enchaîné du 6 février révélait que la France venait d’envoyer, en prévision des combats, un DAMI (Détachement d’Assistance Militaire et d’Instruction). Le surlendemain, le journal La Croix affirmait que ces officiers du DAMI avaient coordonné la première attaque tchadienne contre les rebelles, et ajoutait que les forces spéciales du COS (Commandement des Opérations Spéciales), dont les activités sont toujours secrètes, ont également pris part aux combats dans la capitale « avec une stratégie qui se révélera payante : épuiser les rebelles, bientôt à court de munitions ». S’il y a eu volonté délibérée d’attirer les rebelles à N’Djamena pour les isoler de leurs bases arrière, il s’agit d’une stratégie criminelle au regard des conséquences sur les populations civiles. Mais cela n’étonnerait ni de la part de Déby, ni de la part des conseillers militaires français officiant en Afrique.

Robin Guébois