12 mars 2008

Liquidation françafricaines au Tchad

Non contente de lui sauver militairement la mise, la France a cautionné l’élimination de l’opposition démocratique tchadienne opérée par le régime de Déby.


« Pour la première fois dans l’histoire de la France, nous n’avons pas pris parti dans une lutte africaine », affirmait Kouchner à l’ONU le 12 février, tandis que Sarkozy et les portes paroles de l’Etat-major ne cessaient de répéter en boucle que les militaires français n’avaient pas pris part à la bataille opposant le dictateur Idriss Déby à ses anciens affidés, début février. Au cours de ce mois, les uns et les autres ont enchaîné les mensonges à un rythme qui force l’admiration. Question d’entraînement… Avec une armée en débandade, partiellement constituée de rebelles soudanais du MJE et une partie de son Etat-major passé à l’ennemi au moment décisif, Idriss Déby ne s’est à nouveau maintenu au pouvoir que grâce à l’appui militaire français : soutien logistique, renseignement, fourniture d’armes et de munitions, intervention secrète des forces spéciales du COS et sécurisation des hélicoptères de combats pilotés par des mercenaires étrangers. « Le rôle de Paris a surtout été crucial dans l’organisation de la bataille de N’Djamena, rapporte Le Monde du 3 mars. Selon des sources convergentes, c’est « un responsable militaire français en poste à N’Djamena qui a coordonné la défense de la ville, avec une structure à la présidence ». En témoigne cette conversation entre un coopérant militaire français et un haut responsable tchadien, tous deux en battle-dress, entendue début février à la présidence tchadienne : « Ils (les rebelles) vont revenir », affirme l’officier tchadien. « Oui, ils vont revenir, opine le militaire français, et on va leur remettre une patate. »


Sitôt les rebelles repartis de la capitale, le 3 février en fin d’après-midi les hommes de la Garde présidentielle de Déby ont raflé les militants de l’opposition civile et démocratique, et semé la terreur parmi la population, en particulier dans certains quartiers où les habitants avaient salué l’arrivée des rebelles. Etaient notamment arrêtés Ibni Oumar Mahamat Saleh, porte-parole de la Coordination pour la défense de la Constitution (CPDC), principale coalition des partis d’opposition, ainsi que Ngarlejy Yorongar, président de la Fédération action pour la République (FAR), député et ancien candidat (vraisemblablement élu sans les fraudes) à la présidentielle, ainsi que Lol Mahamat Choua, éphémère président de la République en 1979, et président du comité de suivi de l’accord du 13 août 2007 en vue du renforcement du processus démocratique au Tchad (dont le pouvoir tchadien et certains partis d’opposition sont signataires). D’autres personnalités politiques, en déplacement à l’étranger, ont eu plus de chance, mais pas leurs proches sur lesquels se sont défoulés les sbires de Déby. Ceux des opposants ou des défenseurs des droits humains qui n’étaient pas raflés étaient contraints à la clandestinité et à la fuite. Quelques jours auparavant, alors que les cadavres civils jonchaient les trottoirs et que les habitants de la capitale se réfugiaient au Cameroun, Hervé Morin avait déclaré n’être préoccupé que par le sort des ressortissants français (et encore, pas tous : les français d’origine tchadienne avaient été « oubliés » dans le dispositif d’évacuation). Ces derniers, certes pas à l’abri des balles perdues, n’étaient pourtant visés par aucune des parties en conflits. On pouvait donc se douter qu’il ne fallait pas compter sur la diplomatie française pour faire lâcher prise à Déby et obtenir la libération des opposants. On reste pourtant à chaque fois étonné par l’ampleur du cynisme qui prévaut en matière de politique africaine. Le président de « la rupture » n’a pas fait exception à la règle.


Dès le 4 février, les autorités françaises étaient interpellées sur le sort des opposants, en particulier par l’association Survie. Le 5, Hervé Morin sur RFI se contentait de demander le temps « d’observer les choses tranquillement », affirmant se méfier « des rumeurs ». Le lendemain, il posait tout sourire aux côtés de Déby, lui témoignant un soutien « sans faille », tandis que ce dernier ne niait pas les arrestations d’opposants, mais les qualifiait de « détails ». Le 7 février, le dictateur tchadien décrétait le couvre-feu et Amnesty international dénonçait des tueries extra-judiciaires, parfois sur des bases ethniques, et des arrestations de militants et de journalistes. Dans la semaine qui a suivi, la presse française s’est réveillée (c’est L’Humanité qui a réagi le plus rapidement, sous la plume du très bon journaliste Jean Chatain), et a à son tour fait état relativement correctement de la situation. Le 12 février, alors que l’Union Européenne demandait la « libération immédiate » des opposants, la France se contentait de demander des « clarifications » sur les « motifs » de leur emprisonnement, et « sur les procédures judiciaires dont les autorités tchadiennes pensent qu’elles leur sont applicables » ! « Mais deux, quatre, huit jours à 220 volts, sous le fouet ou en balançoire, c’est long, monsieur le ministre », s’indignait le chercheur J.F. Bayart dans une tribune au Monde. Pendant que les représentants des autorités tchadiennes enchaînaient les versions contradictoires, affirmant successivement que les opposants avaient été enlevés par les rebelles, qu’ils ne savaient pas où ils se trouvaient, puis que l’un d’entre eux était bien détenu et finalement considéré comme un « prisonnier de guerre », Bernard Kouchner ne voyait aucun inconvénient à tenir une conférence de presse commune avec eux. « Qu’il y ait eu des exactions et des arrestations arbitraires -ou pas arbitraires, nous n’en savons rien - pendant cette effroyable guerre, c’est possible », affirmait-il également le 25 février sur LCM, ajoutant: « Mais n’oublions pas la guerre ». Abject : on ne se refait pas…


Le lendemain, Amnesty affirmait pourtant détenir les preuves « selon lesquelles le gouvernement français savait dès le 11 février où se trouvaient les trois figures de l’opposition tchadienne arrêtées, bien qu’il ait publiquement nié disposer de telles informations ». La France n’a pas démenti immédiatement, se contentant d’affirmer qu’elle ignorait « sur quelle base se fonde » ces accusations. On voit mal comment les militaires français, qui sont en charge du renseignement et de l’organisation de la Garde personnelle de Déby, aurait pu ignorer le lieu de détention. Pire, Jeune Afrique du 24 février affirme que les arrestations auraient eu lieu « à la suite d’une information émanant, entres autres, des services d’écoute de l’armée française. » Information à prendre avec prudence, compte tenu de la déontologie et des motivations souvent très particulières du magazine, mais néanmoins tout à fait plausible.


Alors que Kouchner avait affirmé que toute la lumière devrait être faite sur le sort des opposants avant une nouvelle visite de Sarkozy au Tchad, c’est dans ce contexte que celui-ci s’y est rendu le 27 février, pour obtenir la grâce des voleurs d’enfants de l’Arche de Zoé, pour y visiter l’armée française, et pour y donner l’absolution au régime criminel de Déby, comme celui-ci le réclamait. Tout juste Lol Mahamat Choua passait-il alors du statut de détenu à celui de résident surveillé. Au cours de son voyage, Sarkozy s’est flatté d’avoir obtenu d’Idriss Déby l’organisation d’une commission internationale d’enquête pour faire la lumière sur les « disparitions ». Simple poudre aux yeux : celle-ci est dirigée par un proche de Déby, ancien premier ministre et actuel président de l’assemblée national. Sarkozy a également participé à une réunion au siège du comité de suivi de l’accord conclu le 13 août 2007 par le pouvoir et l’opposition tchadiens en vue d’un renforcement du processus démocratique au Tchad, en présence des représentants du pouvoir. Il s’y est étonné que les représentants de l’opposition aient refusé d’y siéger en présence de leurs tortionnaires avant la libération des opposants emprisonnés : « L’opposition tchadienne doit prendre ses responsabilités et revenir à la table des négociations (…) Pour se réconcilier, il faut être deux. », a-t-il sentencieusement déclaré.


Quelques jours plus tard réapparaissait au Cameroun le député Yorongar, après que le pouvoir ait tenté d’accréditer la version selon laquelle il se serait caché seul et aurait été aperçu chez lui. Il a en fait été libéré dans un cimetière après avoir été détenu dans une prison secrète de la présidence. On est toujours sans nouvelle d’Ibni Oumar Mahamat Saleh, vraisemblablement décédé. Sans parler de tous les anonymes qui croupissent encore en prison ou qui ont été exécutés.

Le lendemain de son passage au Tchad, Sarkozy prononçait en Afrique du Sud un discours censé faire oublier celui de Dakar. Il y était notamment question de refonder les liens entre la France et l’Afrique…


Robin Guébois