Depuis quelques mois, le Burkina connaît des protestations contre la vie chère. Les étudiants y prennent une part active, à travers leur mouvement l’ANEB (Association nationale des étudiants burkinabé), section locale de l’UGEB (Union générale des Etudiants Burkinabé, regroupant aussi les Burkinabé de l’extérieur). Le mouvement étudiant et syndical burkinabé en général sont connus pour leur vigilance qui a permis d’empêcher l’instauration d’un parti unique après l’indépendance, à la différence de bien des pays d’Afrique francophone. Malgré les discours de démocratisation au début de l’ère post-révolutionnaire, l’UGEB n’a cessé d’être réprimée.
L’UGEB, né en 1960, se dit anti-capitaliste et anti-impérialiste. Tantôt réprimée, tantôt interdite et contrainte à la clandestinité, elle a toujours défendu les intérêts des étudiants et pris une part active dans les luttes de la société aux côtés des travailleurs (elle est alliée à la CGT-B, la plus importante et combative centrale syndicale du pays), contre l’impunité ou pour l’instauration d’un véritable Etat de droit. Elle vivra l’une des périodes les plus sombres de son histoire sous le Conseil National de la Révolution, le régime tentant de lui substituer les Comités de défense de la Révolution sur le campus. Avec l’arrivée de Blaise Compaoré au pouvoir, après le coup d’Etat du 15 octobre 1987, qui prétendait « rectifier » les erreurs de la Révolution, la répression ne sera pas moins importante. Ainsi, la première grande crise à l’université de Ouagadougou sous Compaoré a lieu en mai 1990, lors d’une grève organisée contre l’expulsion de militants de l’ANEB. La répression est violente : arrestations, tortures, enrôlement de force dans l’armée …En 1991 commence l’application des PAS anti-sociaux. Au niveau de l’université, cela signifie notamment le contingentement des bourses. Dès lors, les mobilisations sur les campus iront crescendo. Chaque année, des manifestations paralysent les activités pédagogiques, avec des degrés de mobilisation et de répression différents.
En 1992-1993, les associations sur le campus tentent une coalition afin de s’opposer aux PAS, mais des divergences nuisent à son effectivité. Pire, le pouvoir en profite pour initier, sous l’instigation de la Banque mondiale, le prêt FONER (somme accordée aux étudiants, remboursable un an après l’obtention du premier emploi) et son institutionnalisation à partir de 1994, année de la dévaluation du franc CFA. Dans une société pauvre telle celle du Burkina Faso, où l’avenir professionnel est incertain, cette mesure prive une large partie de la jeunesse de l’accès à l’enseignement supérieur. C’est la lutte contre cette politique qui conduit à la longue grève de décembre 1996 à avril 1997 sur les campus deOuagadougou et de Bobo Dioulasso à l’appel de l’ANEB. C’est alors la plus grande crise universitaire connue jusque-là, avec la solidarité notable de la population. La revendication principale est une aide pour les non-boursiers du fait du contingentement en remplacement du prêt FONER. Si le prêt FONER n’a pas été enterré, le principe de l’aide fut acquis en dépit des violences entre militaires et étudiants, des descentes de police sur les campus, des arrestations d’étudiants.
L’année suivante, le pouvoir allait connaître une crise sans précédent après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de trois de ses compagnons. Norbert Zongo était ledirecteur de L’indépendant. Ce journal était l’un des seuls à mettre sur la place publique les sombres affaires de la IVe République. C’est en enquêtant sur la mort de David Ouédraogo, employé de François Compaoré, frère du président, qu’il a trouvé la mort. Dès lors le Collectif d’organisations démocratiques et de partis politiques (dont les syndicats de travailleurs et l’UGEB) engage une lutte contre l’impunité. Depuis, les luttes des étudiants sur le campus pour leurs intérêts propres s’articulent à la lutte contre l’impunité. Les autorités ont mis en place une Commission d’enquête indépendante qui a pointé la responsabilité politique dans ces meurtres. Depuis des grèves, manifestations ont eu lieu. L’année 1999 est marquée par une violente répression contre la société civile, avec son lot d’arrestations, de tortures et autres violences. En parallèle, les étudiants luttent pour leurs intérêts corporatistes. Et, en 2000, alors qu’ils demandent l’augmentation du nombre de boursiers et des aides financières, de même que des infrastructures en nombre suffisant, le pouvoir décide d’invalider l’année académique 1999/2000 et les militaires occupent le campus pendant des semaines. Cette mesure qui dissout les facultés et les instances de décision de l’université vise en fait la suppression des franchises universitaires (les meetings, marches, sit-in sont interdits) et à créer une université où les étudiants sont sous surveillance et passifs face à l’application des mesures préconisées par la Banque Mondiale et le FMI. Le 6 décembre 2000, Flavien Nebié, un élève de CM2, est tué lors d’une manifestation contre la liquidation du système éducatif. Depuis le dossier judiciaire est au point mort.
En 2002, sur le campus de Ouagadougou, les luttes pour les libertés académiques sont réprimées : descentes de gendarmes, arrestations d’étudiants, etc. Le 13 septembre, toujours sous l’égide de la Banque mondiale, de nouvelles mesures sont prises : le doublement des frais d’inscription et la création de tarifications (paiement pour la consultation dans les bibliothèques départementales, pour le retrait des attestations définitives des diplômes, etc.). Cela déclenche une manifestation accompagnée d’une violence inouïe. Des militants de l’ANEB et son président, Bertrand Meda, sont arrêtés. Les militants multiplient les grèves pour demander la libération de leurs camarades. Une assemblée générale est interdite par les autorités qui déploient en nombre les forces de l’ordre pour dissuader les étudiants. Fin décembre, Bertrand Meda et trois autres militants de l’ANEB sont condamnés à un mois de prison et à une amende. Néanmoins, depuis, les luttes des étudiants ont permis d’arracher des acquis considérables, totalement contraires à l’esprit des institutions financières internationales : ainsi le nombre de bénéficiaires de l’aide a sensiblement augmenté, le nombre de bourses a doublé l’an passé, etc. Cependant, ce syndicat sait que ces acquis sont fragiles et est résolu à se battre sur les fronts de lutte sur les campus et dans la société, comme le prouvent les dernières manifestations contre la vie chère générée par la spéculation capitaliste.
Lila L.