8 octobre 2008

BARACK OBAMA: QUEL CHANGEMENT?

Barack Obama, candidat afro-américain du parti démocrate pour l’élection présidentielle américaine, est dans un contexte très favorable pour l’emporter face au républicain John McCain. Encore pratiquement inconnu il y a un an, Obama a su soulever davantage d’enthousiasme parmi les électeurs démocrates que Hillary Clinton, qui jouissait pourtant du soutien de l’appareil d’un parti dominé par une orientation néolibérale et centriste. Selon certains commentateurs, aucun candidat démocrate n’avait incarné autant d’espoir de changement depuis John Kennedy il y a presque 50 ans.

D’où vient Obama ?

Barack Obama est né d’une américaine blanche et d’un étudiant kenyan. Il a fait des études supérieures à Columbia University et à Harvard, et a été travailleur social dans un quartier populaire de Chicago avant de devenir enseignant universitaire puis avocat. C’est encore à Chicago qu’il a entamé son ascension politique, d’abord comme sénateur local, puis sénateur fédéral. La relation d’Obama avec le pasteur de l’Église qu’il a fréquenté pendant 20 ans, Jeremiah Wright, n’est pas sans intérêt. Wright se réclame ouvertement d’une théologie de la libération des Noirs inspirée d’Amérique latine. Dans ses sermons, il n’hésite pas à dénoncer la politique étrangère américaine comme responsable du 11 septembre 2001. Après que le “scandale” a éclaté, le pasteur a enfoncé le clou en déclarant qu’il était temps que l’Amérique reconnaisse une Église noire qui cherche la réconciliation à travers une véritable justice sociale. Quant à Obama, il s’est d’abord distancé du pasteur pour ensuite rompre publiquement avec lui et avec son Église.

Politique extérieure

L’élection d’un Afro-américain aurait sans doute une forte portée symbolique pour la société américaine (1). Mais, pour Larry Hales, Afro-américain et militant socialiste, ce serait aussi une “honte que le visage de l’impérialisme américain soit celui d’un Noir américain”. Il est en effet peu vraisemblable que Obama opère quelque changement que ce soit à la politique impériale des États-Unis. Pour le candidat démocrate, il s’agit de “rétablir le leadership des États-Unis dans le monde”. S’il déclare vouloir négocier avec des gouvernements comme ceux d’Iran ou de Cuba (ce qui est nouveau), cette volonté a des limites. Il a dénoncé la rencontre de l’ancien président J. Carter avec la direction du Hamas (2), et il est fier d’avoir voté pour une loi qui définit les Gardiens de la révolution en Iran comme “organisation terroriste”. Opposé à l’invasion de l’Irak depuis le début, Obama explique que cette guerre était une diversion à la “guerre à la terreur”; il prône une intervention croissante en Afghanistan et au Pakistan. Il a toujours voté pour le renouvellement du budget pour l’occupation de l’Irak. Il s’est démarqué de Hillary Clinton en dénonçant notamment les effets pervers que 14 ans de Traité de libre commerce avec le Mexique et le Canada ont eu sur l’emploi aux États-Unis, mais il le fait en ne dépassant pas le cadre nationaliste: il n’a jamais fait référence aux conséquences désastreuses de ce traité pour la majorité pauvre du Mexique, et il a voté pour la construction du mur à la frontière avec ce pays (septembre 2006). Enfin, pour tenter de devenir plus crédible en politique étrangère, il a choisi comme colistier Joe Biden, ancien président de la commission des affaires étrangères au Sénat, connu notamment pour son soutien inconditionnel à Israël.

Politique intérieure

Entre Démocrates et Républicains il existe néanmoins quelques différences en politique intérieure. Les syndicats sont en train de négocier un accord avec le parti démocrate sur une nouvelle loi qui faciliterait la formation de sections syndicales dans les entreprises qui en sont dépourvues. Mais là aussi, ces différences ont vite des limites. Obama a voté en juillet 2005 pour la reconduction du “Patriot Act”, l’attaque la plus frontale aux libertés fondamentales depuis 50 ans. S’il s’engage à défendre le droit à l’avortement aujourd’hui menacé par une Cour suprême, il est, comme la plupart des politiciens, toujours favorable à la peine de mort. En votant pour la construction du mur à la frontière sud, il démontre que, comme la majorité des élus démocrates, il préfère surfer avec la vague croissante de racisme à l’égard des immigrés Mexicains plutôt que de l’affronter. S’il a un programme qui envisage une couverture sociale de santé pour tous les Américains (ce dont 45 millions sont aujourd’hui dépourvus), ce programme ne met pas en cause les profits des compagnies privées d’assurance dénoncés par Michael Moore dans son dernier film “Sicko”. Enfin, si Obama dénonce le pouvoir “excessif” que les grandes multinationales exercent sur le pouvoir politique et les cadeaux en baisses d’impôts du gouvernement Bush à la fraction la plus riche de la population, il ne se démarque pas de l’orientation politique en faveur des multinationales de Bill Clinton dans les années 90. L’enthousiasme qu’il soulève est moins dû au flou de son programme qu’au ras-le-bol des années Bush et à une personnalité plus sympathique que John McCain.

Le vrai changement …

Alors, Barack Obama est-il un gauchiste qui, pour ne pas faire trop de remous, cache son jeu, ou un opportuniste qui se sert du besoin de changement de la population pour atteindre le sommet de l’État et ne rien changer? Bien que l’on veuille croire au premier scénario, le deuxième est malheureusement plus proche de la réalité (4). Cela dit, ce serait une erreur d’ignorer ou de minimiser l’enthousiasme que soulève Obama. Il est important que la gauche le défende face aux attaques racistes tout en montrant les limites de son projet politique, d’ailleurs difficile à discerner. Un véritable changement demanderait un mouvement social et politique bien plus large et radical que celui qui existe autour de sa campagne. Construire ce mouvement demeure la tâche d’une gauche qui, pour l’instant, a malheureusement du mal à sortir de la dispersion.

Yann Rémy, Denver, le 20 Septembre.

Notes
(1) Des sondages récents montrent que le racisme à l’égard des Afro-américains est encore très encré, y compris parmi les électeurs indépendants et démocrates.
(2) En Israël même, selon une enquête du journal Haaretz, plus de 60% de la population est favorable à des négociations avec Hamas.
(3) Les mercenaires qui opèrent en Irak, recrutés aux quatre coins du monde (y compris le Guatemala et le Chili), se comptent par dizaines de milliers.
(4) Pour une bonne analyse des prises de position de Barack Obama au Sénat (en Anglais), aller à: http://www.counterpunch.org/gonzalez02292008.html.
(5) Depuis le début de la “guerre à la terreur”, les exportations d’armes ont augmenté de 25%.