Le Mali et le Sénégal, modèles de démocratie en Afrique de l’ouest (avec le Bénin et le Ghana) ont eu pourtant des parcours différents dans leur cheminement vers la démocratie. Si le Mali a connu une longue période marquée par la violente dictature de Moussa Traoré – de 1968 à 1991 – le Sénégal a aussi connu une traversée du désert démocratique marquée par un régime quasi-autoritaire de Léopold Sédar Senghor – de 1960 à 1974 – avant que ce dernier ne choisisse une ouverture démocratique contrôlée, le nombre de partis politiques reconnus étant alors limités à trois[1]. C’est seulement à partir de 1981 qu’Abdou Diouf, le successeur désigné de L.S. Senghor, choisit l’ouverture démocratique totale et sans restriction de partis politiques, faisant du Sénégal un des rares pays africains « démocratiques ».
Le pionnier dans l’alternance démocratique en Afrique de l’Ouest n’est pourtant ni le Mali ni le Sénégal mais le Bénin qui tente l’expérience démocratique dès mars 1991, lorsque Nicéphore Soglo bat Mathieu Kérékou (militaire arrivé au pouvoir en 1972 par un coup d’Etat militaire) qui crée ensuite un coup d’éclat en acceptant de quitter le pouvoir après son échec aux élections présidentielles. Il revient cependant au pouvoir aux élections de 1996, posant ainsi la première alternance démocratique en Afrique de l’ouest.
C’est pourtant l’alternance démocratique du 19 mars 2000 au Sénégal qui est très médiatisée dans le monde et surtout en France. D’abord parce que le Sénégal n’a jamais connu de coup d’Etat militaire; ensuite parce que ce pays est considéré un peu comme le « bon élève » par la France qui ne peut se défaire de son paternalisme. Le Mali a, quant à lui, suivi le parcours béninois car le général Amadou Toumani Touré, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat militaire en 1991, restaure la démocratie et quitte le pouvoir après la victoire d’Alpha Omar Konaré aux élections de 1992. Mais comme Mathieu Kérékou, il reviendra en 2002 avec cette fois des habits civils et remporte les élections. Il est d’ailleurs réélu en 2007.
Alors qu’en Afrique la démocratie est souvent suspecte puisqu’il suffit d’échanger sa tenue de général putschiste en habit civil pour devenir fréquentable, il est à noter dans ces derniers pays que le déroulement des élections semble pourtant correct. C’est en tout cas ce que révèle l’étude des élections au Sénégal et au Mali. Au Sénégal, la courbe des voix du principal opposant Abdoulaye Wade suit une courbe croissante entre 1983, date du multipartisme total, et mars 2000 date de sa victoire historique tandis que celle de son principal concurrent Abdou Diouf suit une courbe inverse[2]. Abdoulaye Wade a donc accédé à la présidence à l’usure, comme un véritable coureur de fond (au 2ème tour, il obtient 58,1% contre 41,9% pour son adversaire A.Diouf). Il ne doit cependant sa victoire au second tour que grâce à une coalition hétéroclite (composée de son parti libéral le PDS et de plusieurs autres partis de gauche[3]) regroupée au sein de la coalition « Sopi » (« changement » en ouolof). Lors des élections présidentielles de 2007, la tendance se confirme puisque Wade remporte les élections au premier tour avec 55,86% des voix. Entre temps, il s’était séparé de ses principaux alliés de 2000, qui du coup se retrouvèrent pour la plupart dans l’opposition au sein du Front « Siggil Sénégal » (front pour remettre le Sénégal debout), avec le principal ennemi d’hier, le Parti Socialiste dirigé après le départ de Diouf par Ousmane Tanor Dieng. Mais les élections de 2007 sont un véritable Tsunami pour l’opposition qui n’a pas réussi à proposer au peuple sénégalais un programme commun. Elle est laminée[4]. Choquée, elle boycotte les élections législatives, indexant le fichier électoral. Elle se console lors des élections municipales de mars 2009 en remportant la plupart des grandes villes sénégalaises (Dakar, Saint-Louis, Kaolack, Diourbel, Louga…).
Au Mali, lors des premières élections libres depuis 1968, Alpha Omar Konaré remporte les élections d’avril 1992 au second tour[5]. Il est réélu en 1997 face à un seul candidat – Mamadou Diaby – avec 95,9% des voix. Cependant, les principaux partis d’opposition ont boycotté le scrutin en protestation contre l’annulation des élections législatives quelques mois plus tôt. Konaré quitte le pouvoir en respectant la limitation des mandats présidentiels fixée à deux par la constitution malienne. Son successeur n’est alors autre que l’ancien « soldat de la démocratie » Amadou Toumani Touré qui, ayant demandé sa mise en retraite anticipée de l’armée, revient sur la scène politique. Il remporte bien sûr les élections avec 64,35% des voix au second tour des élections présidentielles de mai 2002[6]. Bien que sans parti lors de sa première candidature, A.T.T. (Amadou Toumani Touré), comme le surnomment les Maliens, se présente de nouveau en 2007 mais cette fois avec le soutien de nombreux partis politiques dont l’ADEMA (Alliance pour la démocratie au Mali), le parti créé par A. O. Konaré, la société civile ainsi que plusieurs associations. Il est réélu au premier tour avec 71,20% des votes[7].
La comparaison entre les élections présidentielles au Mali et au Sénégal nous indique que si l’alternance au Sénégal s’est jouée au second tour en 2000 – une première dans ce pays – au Mali, toutes les élections se sont jouées au deuxième tour mais les réélections se font toujours au premier tour. D’ailleurs, ceci semble être une règle générale pour les deux pays puisque Wade, élu au second tour lors des élections de 2000 est réélu dès le premier tour sept ans plus tard. Il semble que le fait d’être déjà président soit un atout majeur. Mais au fond, à quoi servent la démocratie et l’alternance politique tant plébiscitées en Afrique si elles ne permettent pas de changer le sort des milliers de misérables, de laissés-pour-compte qui constituent la très grande majorité de la population ? Ne sert-elle qu’à permettre aux multinationales d’investir en toute sécurité en Afrique et surtout d’exploiter encore et toujours plus les pays pauvres et ce en toute bonne conscience « démocratique »?
En tout cas, pour de nombreux jeunes africains, la politique reste surtout un moyen comme un autre de s’enrichir. Les hommes politiques ont des avantages énormes dès qu’ils accèdent au pouvoir tandis que les jeunes africains voient tous les jours leur situation se dégrader. Avec la mondialisation, les télévisions satellites et autres, ils sont branchés en permanence sur l’Occident riche, tandis que leurs rêves, à défaut de se réaliser en Afrique-s, sont projetés vers l’Espagne, la France et bien d’autres pays riches. Et les alternances peuvent continuer à se réaliser dans leur pays, mais qu’est ce que ça change pour leur quotidien ? Certes, la démocratie est le moins pire des systèmes politiques, mais le pire de ce système est certainement la fausse démocratie, le leurre-démocratique. Peut-on vraiment parler de démocratie dans un pays pauvre où manger à sa faim seulement est un combat de tous les jours ? Quelle démocratie pour l’Afrique ? Certainement pas celle qui laisse la majorité sur le trottoir mais une autre démocratie, plus juste, plus solidaire aussi.
Moulaye
[1] Un parti de la mouvance socialiste représenté par le Parti Socialiste de Senghor, un parti libéral représenté par le Parti Démocratique Sénégalais d’Abdoulaye Wade et un parti communiste, le Parti Africain de l’Indépendance dirigé par Mahjemout Diop .
[2] 17,38 % en 1978 contre 82,02 % pour Senghor ; 14,79% en 1983 contre 83,45 % pour Abdou Diouf ; 25,80 % en février 1988 contre 73,20 % pour Abdou Diouf, ; 32,03 % contre 58,40 pour Abdou Diouf en 1993 ; 31% contre 41,3% au premier tour des élections de 2000. sources : http://fr.wikipedia.org/wiki/Élections_au_Sénégal
[3] PADS (Parti Africain pour la Démocratie et le Socialisme) de Landing Savané de mouvance marxiste- maoïste ; le PIT (Parti de L’indépendance et du Travail) de Amath Dansokho et la LD/MPT (Ligue démocratique/Mouvement Pour les Travailleurs) de Abdoulaye Bathily, communistes.
[4] Le PS arrive 3ème avec seulement 13,56% derrière l’ancien premier ministre libéral de Wade entré en disgrâce mais qui obtient 14,92%.
[5] 69,01% contre 30,99% pour son adversaire Tiéoulé Mamadou Konaté.
[6] Son image à l’extérieur est au beau fixe et Koffi Annan, le Secrétaire Général des Nations Unies lui a déjà confié une mission pour l’ONU en République Centrafricaine.
[7] Contre 19,15% pour son principal concurrent Boubacar Keïta. Mais le Sadi a contesté le déroulement des dernières élections présidentielles au Mali (validité du corps électoral, intimidations de l'armée sur la population et les militants d'opposition).
Bibliographie
- Général Lamine Cissé, Carnets secrets d’une alternance, un soldat au cœur de la démocratie, Editions Gideppe, Paris 2001.
- Mamadou Dia, Afrique, le prix de la liberté, L’Harmattan, Paris 2001.
- Rolland Colin, Sénégal notre Pirogue, au soleil de la liberté, journal de bord 1955-1980, Présence Africaine, Paris 2007.
- Collectif, L’Afrique répond à Sarkozy, contre le discours de Dakar, Editions Philippe Rey, Paris, 2008.