10 mai 2009

MADAGASCAR : Main basse impérialiste sur les ressources

L’actuelle crise malgache n’est pas réductible au conflit des egos des businessmen Ravalomanana, président de la République et chef d’église, et Rajoelina, maire destitué. Après les changements de République ou de chefs d'Etat de 1975 (Ratsiraka), 1991-1993 (Zafy) et 2002 (Ravalomanana), voici un nouveau pic de la crise de la réorganisation tendancielle du procès néocolonial. Sur fond de récupération de la contestation populaire, les rapports des classes dirigeantes malgaches aux impérialismes rivaux se trouvent à nouveau reformulés.

Exaspération populaire

La dérive autoritaire du régime Ravalomanana s’est accélérée en 2007 avec une réforme constitutionnelle renforçant le pouvoir présidentiel. Comme ceux qui l’ont précédé, il a constamment réprimé le mouvement social. L’exaspération populaire déborde quand Ravalomanana mélange la caisse de son empire industriel et celle de l’Etat au point que le FMI s’est senti obligé de demander des comptes sur l’achat de l’avion présidentiel « Force one 2 » pour 60 millions de dollars alors que le pays demeure l’un des plus pauvres au monde.

Droits des travailleurs ignorés dans les zones franches, expulsion des paysans de leurs terres par l’agrobusiness, liberté d’expression de la société civile et des médias bafouée : la logique libérale qui enrichit depuis des décennies une minorité, appauvrit la population et brade les ressources nationales est à l’origine de la colère populaire qui a conduit aux émeutes de ces derniers mois. Cette puissante colère a saccagé des symboles forts : les magasins du président, ses médias privés ainsi que ceux de l’Etat qui sont à sa botte.

Crise politique exacerbée

Contre le cours corrompu et autoritaire en vigueur, Rajoelina et son entourage ne proposent qu’une simple alternance avec un personnel politique non issu d’un processus électoral. Ils ont su instrumentaliser le mécontentement populaire et Ravalomanana porte l'entière responsabilité des répressions sanglantes des manifestations dirigées contre lui. Pour autant, Rajoelina – réputé jouant la carte Françafrique – a été irresponsable en envoyant la foule prendre le palais présidentiel comme s’il y avait vacance du pouvoir !

Après deux mois d’un bras de fer (plus de 130 victimes) qui a tourné en sa faveur le 17 mars (avec l’appui de soldats mutins qui s’avèrent être pour l’essentiel des membres de l’ancienne garde présidentielle de l’« amiral rouge » Ratsiraka, éjecté en 2002), Rajoelina s’est autoproclamé (avec la complicité de la Haute Cour constitutionnelle) président d’une Haute autorité de transition (vers une Quatrième république) ou HAT, formée surtout de gens d’affaires et de politiciens opportunistes. Les premières décisions du nouveau pouvoir sont inquiétantes : suspension de l’Assemblée nationale et du Sénat, rétablissement du français comme langue d’enseignement etc.

La SADC (Afrique australe), l’Union africaine, l’Union européenne et l’ONU ont condamné le coup d’Etat de Rajoelina et aucun pays ne reconnaît le pouvoir qui en est issu. Dès après le 17 mars, Ravalomanana s’est exilé en Afrique australe d’où il mène une intense activité diplomatique contre ses tombeurs. À son tour, Rajoelina fait tirer sur ses opposants qui investissent la rue. Toute manifestation est désormais interdite par la HAT avec le risque d’intensifier les affrontements mais un retour à la donne d’avant le 17 mars n’est plus viable et, vu la dégradation rapide de la situation, toute militarisation de la crise est à dénoncer.

Pour une alternative sociale et démocratique


La majorité de la population n’est pas dupe des enjeux de ce micmac politicien-affairiste ambiant. Multinationales et puissances anciennes et/ou émergentes, alliées à leurs clientèles locales respectives, rivalisent pour contrôler les ressources foncières, minières et pétrolifères : Rio Tinto l’ilménite et Sherrit le nickel ; 1,3 million d’hectares de terres ont été promis à Daewoo pour faire de l’agrocarburant (avec maïs et palmier à huile) tandis que la guerre pour gagner l’exploitation du pétrole off-shore fait rage entre le français Total, les firmes chinoises et d’autres et tandis que Bolloré guigne la gestion du port à conteneurs de Toamasina.

Un partage du pouvoir se réalisera peut-être entre certaines des principales fractions bourgeoises (Ravalomanana, Ratsiraka, Zafy et Rajoelina) en compétition. Pour la population, l’heure est à avancer ses propres revendications : la rupture avec la logique libérale devra être affirmée. Les vitalités syndicale et citoyenne sont un atout mais les organisations qui enrichissent leur processus d’unité (Conférence des travailleurs, Coalition paysanne, plateformes et collectifs d’organisations citoyennes etc.) doivent faire irruption sur la scène politique et mettre en avant les revendications populaires : arrêt des spéculations sur les produits de première nécessité, défense des terres paysannes contre l’agrobusiness, travail décent, promotion du bien commun (services publics, patrimoine et ressources naturelles), liberté d’expression etc. L’enjeu désormais est d’activer une force vive, indépendante et démocratique, capable de défendre ces revendications et constituée par les syndicats, les réseaux de société civile et les partis progressistes.
Pierre Sidy