22 juillet 1999

Total-Fina-Elf - L'or noir fusion

Comme dans d'autres secteurs, les groupes pétroliers se restructurent. En France, ils cherchent, à coups d'OPE, à se placer dans la concurrence mondiale. Ces opérations sont révélatrices des clivages à l'uvre au sein du patronat français et des options défendues par le gouvernement.
Les fusions pour former des groupes géants à l'échelle mondiale se multiplient depuis un an. Le secteur pétrolier a des raisons plus spécifiques. Il lui faut amortir des investissements énormes pour maintenir un fort niveau de recherche et d'exploration. Il doit payer un «ticket d'entrée» pour obtenir des concessions dans des pays étr
angers, et la concurrence fait rage. Economiser les emplois n'est pas son premier but, mais sur les marchés boursiers, il est de bon ton d'afficher un nombre conséquent de licenciements, preuve d'une bonne gestion libérale avec pour priorité le rendement de l'action.
Les pétroliers américains et européens se sont lancés dans une série de fusions: Exxon avec Mobil, n°1 mondial; British Petroleum avec l'américain Amoco puis Arco, n°2; Shell et Royal-Dutch, n°3. Les deux pétroliers français, seuls, ne pouvaient suivre la course. Total a d'abord fusionné avec le belge Fina, puis lancé une OPE sur E
lf. Elf a répliqué en surenchérissant, avec une OPE sur TotalFina. Si elle réussit, le nouveau groupe serait au 4e rang mondial. L'implantation serait complémentaire: les deux groupes en Europe, Elf en Afrique subsaharienne, Total en Afrique du Nord (Algérie), Amérique et Asie (Indonésie, et présence en Birmanie et Chine).
Le patronat français divisé
Deux camps semblent s'affronter dans les OPA entre banques comme entre pétroliers en France. Ceux qui se sont rangés derrière la BNP se retrouvent avec Elf, ceux qui se sont rangés du côté de Paribas et de la Société générale avec Total. Tous ces PDG sont présents dans les différents conseils d'administration, et chaque groupe possè
de des actions croisées dans les autres.
Du coté de la BNP et de Elf: C.Bébear (AXA), J.-L. Beffa (Saint-Gobain), P. Jaffré (Elf), A. Joly (Air Liquide), L. Owen-Jones (L'Oréal), L. Schweitzer (Renault), G. Mestrallet (Suez-Lyonnaise des eaux), H. Lachmann (Schneider), Lazard Frères, la banque associée à la BNP, J.-M. Messier (Vivendi). Du côté de Paribas, SG et Total: T. Desma
ret (Total), S. Tchuruk (Alcatel), P.- L. Halley (Promodès), A. Jeancourt-Galignani (AGF), J. Gandois (Cockerill-Sambre), J.-R. Fourtoux (Rhône-Poulenc), P. Ricard (Pernod-Ricard), J. Calvet (PSA), mais aussi le baron Seillière et D. Kessler du Medef, et A. Roux, vieux parrain du patronat français.
Deux stratégies se dessinent et le gouvernement s'est rangé derrière l'opération Total sur Elf, comme il montre une neutralité malveillante au raid que la BNP/Axa tente sur Paribas et SG. Une alliance objective entre une volonté politique gouvernementale et un secteur du patronat qui veut profiter de la construction européenne pour consti
tuer des groupes européens de taille face à la concurrence américaine et japonaise, en favorisant la constitution de «champions nationaux» qui se préservent d'OPA et de fusions venues d'ailleurs. De l'autre côté, Axa, les compagnies des eaux, Elf et d'autres misent sur l'ouverture aux fonds de placements internationaux et la rentabili
té des actions à court et moyen terme pour gagner la bataille de la concurrence. Elf, une entreprise particulière
Nommé par Balladur lors de la privatisation, Jaffré a voulu en partie assainir cette entreprise, «bras séculier» de la Ve République, liée plus que toute autre aux intérêts d'Etat. Jaffré replaçait Elf privatisée sous l'influence des fonds de pension américains, des fonds d'investissement britanniques, des banques françaises et su
isses. L'annonce d'un plan de licenciements pour doper la rentabilité de l'action de 12 à 20% fit dire à des grévistes d'Elf qu'ils perdaient leur emploi pour enrichir la veuve de San Diego. En Afrique, Jaffré a multiplié les mécontents: les réseaux de Pasqua ou Mitterrand, Omar Bongo parrain d'Elf-Gabon, le dictateur Sassou N'Guess
o revenu au pouvoir avec l'aide de Chirac mais qui reprochait à Elf d'avoir aidé, aussi, son adversaire.
Tout en regrettant le bon vieux temps, quand Elf arrosait les «copains» plutôt que les actionnaires, les déçus de Jaffré soutiennent la fusion Total/Elf, afin qu'elle reste française et que les pouvoirs publics y gardent une influence, plutôt que de voir le fleuron de la Françafrique tomber dans les mains d'actionnaires de fonds de plac
ement anglo-saxons, ou qu'elle soit absorbée par la Shell.
Défendant les salariés tout comme les peuples saignés par les pétroliers, la campagne du collectif «Elf ne doit pas faire la loi en Afrique» continuera, pour saisir les parlements français et européen des violations des droits de l'Homme causées par les relations entre les multinationales pétrolières et certains Etats, notamment lors de la renégociation prochainedes accords de Lomé entre l'UE et les pays de la zone Afrique-Caraïbe-Pacifique. TotalFina-Elf ne doit pas faire la loi!
Alain Mathieu