2 juillet 1999

Tunisie Fin de l'inertie ?

Grèves étudiantes et lycéennes, mobilisations des chômeurs, dissidence au sein de l'UGTT, initiatives en défense des droits de l'Homme : ces derniers mois, le climat se réchauffe en Tunisie.
Le président tunisien a du mal à y croire : le pays qu'il pensait bien encadré et verrouillé commence à sortir de son inertie. Après le bref intermède de relative tolérance démocratique qui a suivi le coup d'Etat du 7 novembre 1987, un énorme appareil policier s'est mis en place, quadrillant tout le pays. La répression qui, dans un premier temps, a démantelé l'organisation intégriste islamiste, s'est rapidement étendue : il y a aujourd'hui autour de 2000 prisonniers, la torture est généralisée, il n'existe ni presse ni partis indépendants, seules quelques associations ont encore une très petite marge d'action indépendante.
Ces mécanismes qui, jusqu'à récemment, assuraient dans une large mesure la stabilité du régime, commencent à perdre de leur efficacité, au grand étonnement du général qui a du mal à comprendre que les vertus politiques de la matraque ne sont pas indéfinies. Si le malaise au sein de la population était perceptible depuis quelque temps, ce n'est qu'au cours de l'automne, et l'hiver derniers qu'il s'est exprimé de manière active avec les grèves étudiantes et, surtout, l'explosion de colère des lycéens et des chômeurs dans le Sud du pays
Aussi significative, est la réapparition d'une dissidence au sein de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT). Soumise à une direction corrompue, l'UGTT est désormais un instrument de répression des luttes et de clientélisation des travailleurs. Au nom de la promotion d'unsyndicalisme de "proposition", elle apporte sa caution à la politique de privatisation et de démantèlement des acquis sociaux qui a connu une brusque accélération lorsque Ben Ali s'est emparé du pouvoir.
C'est d'ailleurs celui-ci qui a ouvert le dernier congrès de la centrale syndicale, début avril dernier. Un congrès apparemment sans enjeu puisque tout avait été minutieusement préparé pour préserver la mainmise du secrétaire général, Ismaïl Sahbani, sur l'organisation. Les délégués sont soigneusement sélectionnés, I. Sahbani s'autoproclame président du congrès et des commissions chargées des candidatures et du dépouillement des votes. Dans la bonne tradition autoritaire et plébiscitaire du régime politique tunisien, il se fait réélire, par acclamation, à la tête de la centrale avant de faire appuyer la candidature de Ben Ali à l'élection présidentielle en octobre prochain!
Ce congrès est pourtant un événement important puisqu'il a été l'occasion d'un regroupement d'anciens responsables syndicaux, qui, après plusieurs années de paralysie, sont parvenus à organiser une protestation collective contre le déroulement du congrès. Des pétitions rassemblant plusieurs centaines de syndicalistes ont circulé. Ces actions ont stimulé un large mouvement de discussion dans les milieux syndicalistes concernant les formes possibles de la résistance aux pratiques de la direction syndicale, qui révèle un ras-le-bol général et la volonté de syndicalistes de plus en plus nombreux de se doter d'un véritable instrument de lutte.
Un même bouillonnement agite depuis quelques mois les milieux démocratiques. Les initiatives se multiplient : pétitions, comités, etc., et surtout la constitution en décembre 1998 d'un Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) qui, bien que non reconnu par les autorités, nargue le pouvoir par ses prises de position.
Cette agitation, malgré ses limites, inquiète Ben Ali qui espère y mettre un terme selon ses méthodes habituelles : procès, emprisonnements et toutes formes de persécutions filature ostentatoire, vandalisme, privation de passeport, agression physique (contre le correspondant du journal La Croix, Taoufik Ben Brik). Le vice-président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme purge une peine de 3 ans d'emprisonnement et Radhia Nasraoui, avocate des prisonniers d'opinion, est inculpée avec 20 personnes accusées d'appartenance au POCT. Les 3 et 5 juillet, Omar Mestiri et Moncef Marzouki, sont convoqués devant le juge d'instruction pour maintien d'une association non-reconnue, en l'occurrence le CNLT.