30 juin 2000

"Rouge" a interrogé Habib Ben Dhao, membre du Comité de soutien aux luttes civiles et politiques en Tunisie, sur la situation du pays et l'état du mouvement social et démocratique.
Quelle est la situation en Tunisie?
Habib Ben Dhao - On assiste à une montée des mécontentements populaires et à un réveil du mouvement démocratique, illustré par le combat du CNLT, du Raid, du tissu associatif indépendant, et par la médiatisation du combat de Taoufik Ben Brik. La résistance civile a acquis quelques victoires, mais le combat ne fait que commencer. L'état des libertés politiques et individuelles est très loin de notre espérance ; on voit aussi les retombées sociales désastreuses de la politique économique ultralibérale du pouvoir. Mais malgré la faiblesse des mouvements de résistance, Ben Ali ne parvient plus à maîtriser la situation avec les seuls instruments de la répression.
Où en sont le mouvement démocratique, le mouvement social?
H. Ben Dhao - Depuis 2 ans, un mouvement démocratique audacieux, radical et indépendant du pouvoir, émerge. Mais il reste effrité et affaibli, à cause de la répression féroce du pouvoir, mais aussi de l'absence d'un projet social et d'un débouché politique. Le consolider nécessite l'élaboration d'un programme en commun contre le pouvoir policier, la politisation de la contestation, la convergence avec le mouvement populaire dans son ensemble.
D'autre part, un mouvement social radical, embryonnaire, est en train de naître. Une importante dissidence syndicale prône l'autonomie vis-à-vis du pouvoir. Le renforcement du Raid peut prendre une dimension stratégique dans un processus de recomposition du mouvement social. La mobilisation des lycéens peut emmener de nouvelles générations dans les combats sociaux. La constitution de deux organisations de chômeurs est aussi une donnée importante. Et un mouvement populaire spontané s'est manifesté à travers les émeutes du Sud tunisien.
Quant à la gauche radicale, elle est atomisée. Son avenir dépend du développement du mouvement social et démocratique dans son ensemble. Mais il existe un espace politique de construction, une vraie possibilité de recomposition de la gauche radicale. Cela nécessite que cette force soit en première ligne dans le processus d'unification du mouvement démocratique.
Quel bilan tires-tu de la campagne de solidarité?
H. Ben Dhao - Il y a un élargissement formidable de la solidarité internationale. Il ne s'agit plus seulement des associations internationales des droits de l'Homme, qui ont le courage de faire un travail d'information et de dénonciation dans des conditions difficiles, mais d'une participation très large qui touche les forces progressistes au Maghreb et en France. La médiatisation de "l'affaire" Ben Brik, la campagne de solidarité organisée par Attac dans toute la France avec Sadri Khiari, l'occupation du siège parisien du parti au pouvoir, le RCD, à l'initiative du Comité de soutien aux luttes civiles et politiques en Tunisie, et enfin le meeting du 13 juin, qui a réuni 350 personnes, ne peuvent que consolider cette solidarité. Nous sommes arrivés à constituer un réseau large et actif qui peut poursuivre le soutien et pérenniser la vigilance, en vue d'isoler et de discréditer Ben Ali, de déstabiliser ses soutiens dans le gouvernement français.
Propos recueillis par Barnabé Célin

Rouge 29/06/00