22 décembre 2000

Maroc - La récréation est finie

Ces derniers jours, la répression est montée d'un cran au Maroc. La fameuse ouverture célébrée par les médias et l'ex-opposition apparaît pour ce qu'elle est: une habile mascarade, visant à assurer une transition de règne sans secousse majeure.
Trois journaux marocains indépendants ont été définitivement interdits par le Premier ministre socialiste, sous prétexte qu'ils portaient atteinte à l'ouverture démocratique et aux assises institutionnelles du pays: ils avaient révélé une lettre d'un ancien dirigeant historique de l'opposition, où il apparaîtrait que cette dernière était impliquée indirectement dans les préparatifs du coup d'Etat de 1973. Il s'agit en fait de mettre un coup d'arrêt au développement d'une presse non partisane, critique à l'égard de la politique gouvernementale. L'ouverture concédée aux élites se referme d'elle-même dans ce pays où les rapports de domination, l'appareil sécuritaire et les mécanismes d'allégeance au pouvoir central sont restés intacts.
Quelques jours seulement après cette offensive contre la liberté d'expression, des dizaines de membres et dirigeants de la mouvance intégriste radicale sont arrêtés, pour avoir organisé un rassemblement de protestation contre l'interdiction de leur presse. Le 9 décembre, c'est au tour des militants de l'Association marocaine des droits de l'Homme - qui revendique la condamnation des tortionnaires et des responsables de la répression durant les années noires - d'être arrêtés: 36 d'entre eux sont poursuivis et risquent de lourdes peines. Le soir même, un communiqué du ministère de l'Intérieur impose l'interdiction de toute manifestation dans le pays... Le 11 décembre, l'Association nationale des diplômés chômeurs (ANDCM) organise un sit-in central à Rabat, en condamnation des multiples répressions dont elle est régulièrement l'objet et pour exiger le droit au travail. Elle est à son tour harcelée par les forces de l'ordre. Il y a deux raisons majeures à ce "tout répressif". Depuis 1998, on assiste à un réveil social diffus s'exprimant dans des luttes multiformes, souvent déterminées (logement, emploi, éducation, conditions de travail, droits démocratiques...). Si ces mobilisations ont rarement débouché sur des victoires, elles n'ont pu être enrayées et semblent affecter des couches de plus en plus larges de la société, y compris dans les zones rurales. Le recours à des "grèves sauvages", aux occupations d'usines, aux manifestations de rue est de plus en plus fréquent, y compris au sein des secteurs les moins organisés. Le risque d'une explosion sociale est réel, d'autant plus que la politique gouvernementale tend à accélérer les réformes libérales (privatisation de l'enseignement, démantèlement des services publics...) et la dégradation des conditions de vie et de travail. Le coût d'adaptation aux accords de libre-échange avec l'Union européenne est également lourd de conséquences sociales: démantèlement du tissu productif, marginalisation de régions entières, asphyxie de l'agriculture traditionnelle...
Le second facteur est la perte de légitimité du gouvernement actuel, soumis au pouvoir et au libéralisme. La monarchie elle-même, bien qu'avide de discours "modernistes", sait que la situation actuelle rend impossible la "paix sociale" et qu'un vide politique grandissant se fait jour. Il n'y a pas, ou de moins en moins, de relais crédible entre la monarchie et la société.
Dans ce contexte, la répression redevient le moyen principal pour éviter que s'ouvrent des brèches. Elle vise en premier lieu les forces alternatives potentielles: la gauche radicale, le mouvement social indépendant et, de l'autre côté de l'échiquier politique, la mouvance intégriste. Le gouvernement "dirigé" par les socialistes tente d'anesthésier toutes les formes de lutte directe et d'éviter toute jonction entre luttes sociales et luttes démocratiques. La presse gouvernementale vient d'annoncer, à la suite de ces événements, la mise en place d'une nouvelle loi visant à réglementer les libertés publiques... On peut aisément en deviner le contenu! Aussi, il est urgent d'organiser la solidarité contre la répression et d'aider le mouvement démocratique et populaire, qui sort de sa longue léthargie, à surmonter cette offensive qui marquera durablement les rapports de forces dans les temps à venir.
Correspondant