7 décembre 2000

Tom-Dom - Mobilisation exceptionnelle en Guyane

En Guyane, une mobilisation ouvrière et populaire de grande ampleur a fait reculer le gouvernement français, qui refusait jusque-là de prendre en considération les revendications quant à un nouveau statut du département.
Depuis des mois, le Komité pou nou démaré Lagwyiann soutient un projet de "Pacte de développement", adopté par 80% des élus des deux collectivités territoriales de Guyane. Ce Pacte exige un autre statut que la départementalisation. Le ministre des Tom-Dom refusait de venir en discuter en Guyane, préférant convoquer les élus guyanais à Paris sur la base de la loi d'orientation votée en novembre par le Parlement, sourd aux revendications guyanaises. Le Komité, qui avait occupé symboliquement l'hôtel des impôts de Cayenne, en fut délogé avec une extrême violence par les CRS et une unité spéciale d'intervention de l'armée. Premier visé, Jean-Victor Castor, vice-président du MDES, a eu un tympan percé et est resté dans le coma plusieurs heures. Cette répression a suscité la colère, un meeting a rassemblé 2000 personnes, et l'UTG (80% des voix aux élections professionnelles) appelait à une grève générale. Après une semaine où grève, manifs, barrages, affrontements se sont succédé, Maurice Pindard, secrétaire du MDES, a accepté de faire le point pour "Rouge".
"Nous avons décidé de suspendre le mouvement jeudi 30, après avoir obtenu l'engagement du ministre de venir en janvier pour discuter sur la base du Pacte de développement. Il a déclaré que le Pacte était un document légitime, puisque voté par les deux assemblées de Guyane. C'est la première fois que le gouvernement français se positionne ainsi. C'est un succès et c'est le résultat de la mobilisation." Le Parti socialiste guyanais a dû, au cours de la mobilisation, reconnaître la légitimité du Pacte. "Nous sommes allés ensemble voir le préfet, cette fois-ci ce n'était plus seulement la revendication du Komité, mais des élus de la délégation guyanaise."
Pendant trois jours, la grève déclenchée par l'UTG a bloqué les secteurs stratégiques: aéroport, port, EDF, collectivité communale, et plusieurs entreprises privées ou administrations. "La manif du 27 a rassemblé 5000 personnes dans la rue. C'était une manif très populaire, la plus grosse jamais réalisée dans cette ville de 60000 habitants, avec une très importante mobilisation des jeunes. Nous avions innové en lançant un slogan de "grève à deux roues", et les jeunes étaient en tête de cortège avec leurs engins et des tee-shirts "ça suffit, y en a marre!"" Ils réagissaient aux barrages établis dans la ville: pendant toute la semaine, les forces de l'ordre ont quadrillé la ville, avec un camion de CRS à chaque carrefour, des chars blindés aux portes de Cayenne. "En plein milieu du conflit, une unité spéciale d'intervention est arrivée de métropole, il semble que ce soit le GIGN. Quand nous sommes allés porter nos revendications à la préfecture, leurs tireurs étaient postés sur les toits." Les CRS, qui usaient de tirs tendus, se faisaient tirer dessus lorsqu'ils s'aventuraient dans les quartiers populaires, avec des fusils de chasse, et le dernier jour il y a eu des rafales d'armes automatiques. "Une situation de quasi-guerre, qui prenait des proportions très graves. Et il s'est passé quelque chose de nouveau en Guyane, une levée de boucliers de toutes les forces conservatrices, opposées à tout changement. Un "front républicain" s'est formé pendant les jours de grève, autour du RPR et du Medef, pour dénoncer la prétendue "dictature" du Komité. RFO a mené une campagne inégalée de dénigrement du Komité. Le PS guyanais, bien qu'ayant signé la lettre au préfet, a aussitôt menacé de retirer sa signature si les barrages n'étaient pas levés. La Fen et la FSU, non seulement ne se sont pas jointes à la grève, mais se sont prononcées contre le Pacte de développement et ont dénoncé elles aussi le Komité." Rappelons que parmi les enseignants, seuls 20% sont guyanais, les autres venant de métropole.
"Mais nous avons remporté un succès. La réaction de la population est très positive. Le paysage politique s'est clarifié. Nous attendons et préparons la venue, en janvier, du ministre." La mobilisation populaire guyanaise a valeur d'exemple, combinant le combat social et celui pour l'autodétermination, et doit recevoir une solidarité vigilante en France.
Propos recueillis par Alain Mathieu