7 décembre 2000

TUNISIE - Arracher l'amnistie générale

Après 90 jours de grève de la faim, Abdellatif Bouhjila et Sofiane Benzarti, détenus à la prison de Tunis, ont cessé leur mouvement. Des dizaines de détenus sont en grève de la faim à la prison de Mehdia depuis un mois, dont Bouraoui Makhlouf, condamné à l'emprisonnement à perpétuité.
Abdellatif Bouhjila, détenu tunisien en grève de la faim depuis trois mois, était maintenu en vie artificiellement, et c'est inconscient qu'il a été amené sur une civière à son procès le 24 novembre. Alors que les avocats de la défense avaient quitté la salle en signe de protestation, le juge l'a pourtant condamné à 17 ans d'emprisonnement pour ce qui relève d'un délit d'opinion.
Depuis dix ans, les grèves de la faim dans les prisons tunisiennes n'ont pas cessé et sont violemment réprimées. Leur écho ne dépassait pas le mur de la prison, voire de la cellule. Les revendications, matérielles au départ (obtention d'un matelas, de soins, de visites, de courrier), se sont politisées. Des détenus ont lutté pour leur libération, notamment ceux condamnés à plusieurs reprises pour le même chef d'inculpation. Les revendications sont liées à celle d'une amnistie générale, qui fait l'unanimité du mouvement démocratique tunisien. Le mouvement de grèves de la faim des détenus, qui a été continu cette année et a rencontré un soutien local et international inédit, se heurte à l'intransigeance du pouvoir. En 1999, des centaines de prisonniers islamistes, pour la plupart militants de base de province ou en fin de peine, avaient été élargis. Aujourd'hui le pouvoir affiche sa volonté délibérée de laisser mourir les grévistes et refuse de libérer les centaines de cadres de la Nahdha, dont la direction condamnée en 1992 par les tribunaux militaires, ce qui supposerait aussi le retour des exilés et poserait d'emblée la question de l'alternative au pouvoir actuel, qui entend bien se reconduire. Pour justifier son cours ultrarépressif (mise hors la loi de la nouvelle et combative direction de la LTDH, procès annoncés contre les fondateurs du CNLT), le pouvoir agite l'épouvantail de nouveaux "périls": "El Ansar", dont le procès vient d'avoir lieu, ou encore "le complot de l'étranger", dont le procès relèverait d'une juridiction militaire (1).
La victoire de Tawfiq Chaïeb, qui avait arraché en août sa libération, a contribué à relancer le mouvement de grèves de la faim des détenus. Le contexte international a aussi contribué au blocage actuel. Ben Ali, face à la population et aux mouvements démocratique, syndical et carcéral solidaires de l'Intifada, écrase violemment toute velléité de mobilisation indépendante, se lance dans une surenchère anti-israélienne au sommet de Charm el-Cheikh, pour ne pas courir le risque de laisser la rue déferler, ce qui se retournerait immanquablement contre lui. C'est cela que paient aujourd'hui les détenus islamistes. Pour autant, et aussi parce qu'ils sont isolés du monde, ils continueront inexorablement leur combat pour la liberté. Le 10 décembre est en prison un temps fort de mobilisation.
Luiza Toscane
Se reporter au communiqué du CRLDHT "Liberté pour Lotfi Ferhat", octobre 2000.

Rouge 7 dec 00