11 avril 2002

La politique impériale de la France en Afrique

Le génocide du Rwanda est l'un des résultats des politiques de l'Etat français vis-à-vis de l'Afrique.
Le 7 avril 2002, un rassemblement s'est tenu au Trocadéro (Paris) pour commémorer le début du génocide au Rwanda, le 7 avril 1994. De nombreux orateurs de différents pays africains se sont succédés pour dénoncer la politique africaine de la France, à l'initiative de l'association Survie.
A cette occasion, Olivier Besancenot a remis la déclaration suivante, faisant entendre une autre voix au milieu du silence consensuel qui entoure la politique africaine de la France dans cette campagne électorale:
Déclaration
"Avril 1994. Je venais d'avoir 20 ans quand commençait le génocide au Rwanda. Comme la majorité des jeunes de ma génération, j'avais appris de nos aînés, qui nous en avaient transmis la mémoire, la terrible leçon du génocide des Juifs perpétré par la barbarie nazie. Tous nous avions la conviction que le devoir de mémoire maintiendrait la vigilance pour que, plus jamais, cela ne se reproduise.
Il fallut se rendre à l'évidence, la vigilance avait été prise en défaut. Sur un autre continent, plus d'un million de femmes et d'hommes tombaient victimes d'une extermination planifiée par un régime totalitaire. Nous avons alors découvert la responsabilité de l'Etat français qui, avant, pendant et après le génocide, apporta son soutien diplomatique, militaire et financier à ceux qui le commettaient. Nous avons compris que les mêmes causes pouvant provoquer les mêmes effets, rien n'empêchait sa répétition. L'appétit de richesses, le mépris pour le sort des peuples, la destruction des services publics, l'accumulation d'une dette plongeant les peuples africains dans la pauvreté, fournissent le terreau sur lequel prolifèrent des régimes prêts à tout pour sauvegarder leur pouvoir et leurs privilèges. Puis nous avons retrouvé le même poison du racisme, la même manipulation des appartenances ethniques, lors des guerres civiles dans les deux Congo, en Côte-d'Ivoire et ailleurs. Retrouvé aussi la même connivence entre ces régimes et leurs protecteurs, les dirigeants politiques et les grandes multinationales qui siègent ici, en France. Nous nous sommes remémoré la longue litanie des massacres coloniaux et post-coloniaux commis par une France impériale, et qui jalonnèrent les luttes de libération des peuples comme au Cameroun, à Madagascar, en Algérie.
"Le Rwanda aurait dû ouvrir les yeux de ceux qui, en France, poursuivent depuis 40 ans une politique de domination en Afrique, sur les plans économique, militaire, politique et culturel. Il n'en a rien été. Le système de domination néocolonial mis en place par De Gaulle est perpétué jusqu'à aujourd'hui par ses héritiers: pillage des ressources africaines, soutien aux pires dictatures, corruption ici et là-bas, vente d'armes alimentant des guerres sans fin. La gauche au gouvernement n'a rien changé, oubliant vite sa promesse de faire l'inventaire de la politique d'un Mitterrand qui restera dans l'histoire le complice d'un régime rwandais qui commit l'innommable. Depuis cinq ans, aucun travail sérieux de mémoire, de vérité et de justice n'a été engagé, le Parlement n'a produit qu'une mission d'information dédouanant l'Etat français de toute responsabilité. [...] Et tous les régimes qui, au lieu de servir leurs peuples, servent d'abord les intérêts de TotalFinaElf ou de Bolloré et qui pratiquent la fraude électorale à grande échelle, bénéficient toujours de la bienveillance de l'Elysée comme de celle de Matignon."
"L'espoir renaît pourtant. A Seattle, à Gênes, à Porto Alegre, s'affirme un formidable mouvement de résistance contre la mondialisation capitaliste et l'oppression des peuples. La jeunesse est à la pointe de ce combat. Un mouvement qui ne doit pas oublier que la lutte contre la mondialisation libérale, quand elle se mène à Paris, passe par une remise en cause de la politique de la France et par la solidarité avec les peuples africains. Un mouvement qui s'étend au continent africain, du Sénégal à l'Afrique du Sud ou au Zimbabwe, contre la dette, les guerres, pour la démocratie."
"La nouvelle génération, en Afrique et en France, se doit de reprendre les combats de ceux qui nous ont précédés, de ceux qui le payèrent de leurs vies, comme Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Steve Biko, et des millions d'anonymes.
"[...] Avec vous, je m'engage à transmettre à la nouvelle génération la mémoire du génocide rwandais.
"[...] Le champ de l'action politique est inséparable du combat pour la vie et l'humanité, ce sont un seul et même terrain de reconstruction de nos combats, tous ensemble.
"Nous garderons la mémoire du passé pour construire un avenir de justice, d'égalité et de solidarité. Nos vies valent plus que leurs profits."
Des propositions
Cette prise de position s'accompagne de propositions pour une politique qui marquerait une rupture claire avec celle menée par les gouvernements français pendant des décennies:
• Cesser toute forme d'interventionnisme; retirer les 6 000 militaires français stationnés en Afrique, interdire par la loi les sociétés de mercenaires, ratifier la convention de l'ONU de 1989 contre le mercenariat alors que foisonnent des sociétés privées de sécurité employant anciens militaires français et mercenaires.
• Cesser de soutenir les régimes violents, corrompus et illégitimes, ou arrivés au pouvoir par la fraude électorale.
• Mettre sous contrôle des citoyens, des salariés, des élus, les activités des grands groupes industriels, comme TotalFinaElf, leur refuser toute aide publique et appliquer des dispositions juridiques lorsque leurs activités conduisent à la violation des droits humains, économiques, sociaux, environnementaux.
• Annuler la dette africaine, publique et privée; le Forum social mondial de Porto Alegre ou la conférence de Dakar ont mis en lumière l'illégitimité de dettes nées de l'usure et du pillage pratiqués par les Etats néocoloniaux, les multinationales et les établissements bancaires.
• Rendre aux peuples africains les services publics qui leur sont volés. En échange du rachat de parts de la dette, des groupes comme Vivendi, Bolloré, mais aussi France Telecom, EDF-GDF, SNCF, ont privatisé en rachetant l'essentiel des services publics dans de nombreux pays africains. L'"ouverture au capital privé" des services publics en France sert aussi à privatiser en Afrique!
• Refondre totalement l'aide publique française au développement, dont à peine 1% bénéficie directement aux populations africaines. L'essentiel est détourné, pour des projets aux conséquences écologiques et sociales désastreuses, pour soutenir l'installation ou la reconduite de régimes illégitimes. Cet argent public revient dans les bénéfices d'entreprises françaises et alimente la corruption de la classe politique française. Tout projet d'aide publique doit être soumis aux citoyens français, tout projet doit recevoir l'aval et le contrôle des populations concernées en Afrique. Dans ces conditions, elle doit être augmentée au bénéfice des peuples qui ont subi des siècles de pillage de leurs richesses.
Alain Mathieu

Rouge 11/04/02