7 avril 2002

Réponse d’Olivier Besancenot au questionnaire de Survie sur la politique de la France en Afrique.

A L’intention de « SURVIE »

Réponse d’Olivier Besancenot au questionnaire de Survie sur la politique de la France en Afrique.

Comme vous vous en doutez, j’ai peu de chances d’être élu au second tour. Mais ma candidature peut être utile au premier tour pour bousculer le débat politique et pour donner un avertissement à ceux qui nous gouvernent. Plutôt que des engagements si j’étais élu, je préfère vous indiquer les objectifs autour desquels il me semble indispensable de mobiliser l’opinion, les propositions et engagements qui sont les miens dans cette campagne électorale, pour essayer de briser le silence consensuel de la quasi-totalité des candidats sur la politique africaine de la France.
J’ai eu l’occasion d’exprimer mon soutien à la cause des peuples africains par une déclaration envoyée à la presse et remise au rassemblement du 7 avril 2002 que vous avez organisé, avec de nombreux militants africains, pour commémorer, au Trocadéro à Paris, le début du génocide rwandais. (Cf. déclaration jointe à la fin).
C’est très volontiers que je réponds à vos questions, partageant nombre des combats que mène votre association.

Responsabilité de la France dans les crimes coloniaux- devoir de mémoire

Faire la vérité sur le génocide au Rwanda et les responsabilités de la France est essentiel. Sans cela, il n’y aura pas de justice pour les rwandais et pour les peuples africains, il n’y aura pas de vigilance pour empêcher la répétition de la barbarie, il n’y aura pas de rupture avec la politique de domination de la France en Afrique. Je rappellerais qu’au printemps 1994, nous étions une poignée, militants africains en France et militants français, dont mon organisation la LCR, à manifester dans les rues à Paris pour exiger la fin de l’intervention française, de l’opération Turquoise, pour que Mitterrand président et Balladur Premier ministre mettent fin à leur complicité avec le régime d’Habyarimana. Avec votre association Survie, avec d’autres fidèles aux causes africaines, nous avons participé aux actions pour obtenir une commission d’enquête parlementaire, lorsque la gauche a obtenu la majorité parlementaire en 1997. Nous n’avons obtenu qu’une « mission d’information », qui a permis d’éclairer un pan de la tragédie rwandaise, mais a servi surtout aux responsables français à se blanchir de toutes responsabilités. Aussi le travail reste à faire. Je partage vos propositions : - une vraie commission d’enquête parlementaire, dotée de tous les moyens d’investigations, ayant libre accès à tous les documents et archives, qui écoutera les témoins rwandais sans a priori, qui sera plus pugnace dans son questionnement des responsables français qui furent ménagés par la précédente « mission » si complaisante à leur égard. Reconnaître les fautes de l’État français est indispensable, elle est une condition pour que d’autres rapports soient établis avec les peuples africains. La législation française doit être mise à jour pour juger les coupables de crimes dans le génocide rwandais, présents sur le territoire français. Elle devrait aussi être modifié dans le sens de permettre à des rwandais de se porter partie civile en France, ce qui est impossible dans la législation actuelle.
Ce travail de mémoire, de réparation, de solidarité entre les peuples, doit être étendu à d’autres questions brûlantes de l’histoire coloniale : la guerre civile récente au Congo-Brazzaville faite pour les intérêts de TFE, avec le soutien de hautes autorités françaises.
L’Algérie reste une plaie ouverte. La scandaleuse promotion du livre d’Aussaresses faisant l’apologie de la torture fut suivi de l’accusation, par une rescapée des tortures, contre le général Shmitt, ancien chef d’état-major de l’armée française dans les années 90 : tortionnaire en Algérie, il fut aussi celui qui commanda l’assaut contre les indépendantistes kanaks à Ouvéa en 1988, mais aussi celui qui veilla aux instructions données aux militaires français quand ils formaient l’armée du régime rwandais qui commit le génocide. Sans travail de mémoire et de vérité, en se cachant derrière les lois d’amnistie votées à deux reprises par le Parlement pour les crimes de guerre français en Algérie, on ne pourra éradiquer la culture coloniale de l’armée française. On ne pourra pas aider le peuple algérien à sortir du cycle de violence dans lequel il est encore aujourd’hui enfermé.
Enfin, il serait temps que la vérité soit faite sur l’assassinat à Paris en 1988 de Dulcie September, représentante de l’ANC. Les pouvoirs publics se refusent toujours à faire la lumière, réclamée par la commission Vérité et Justice d’Afrique du Sud, sur cet épisode qui révèle de la complicité des gouvernements français avec le régime d’apartheid.

Contre toute forme d’ingérence de la France en Afrique.
Les 6000 militaires français stationnés en permanence dans des bases en Afrique ne servent qu’à assurer les régimes illégitimes ou aider à une nouvelle forme d’interventionnisme. Ils doivent être purement et simplement retirés d’Afrique. Je partage vos propositions concernant les sociétés privées de mercenaires : les interdire par la loi, et ratifier la Convention de l’ONU de 1989 contre le mercenariat. Il faut de plus redoubler de vigilance contre les ventes d’armes opérées à partir du territoire français, qui alimentent des guerres sans fin et enrichissent les marchands et leurs intermédiaires.
La France doit cesser de soutenir les régimes violents, corrompus et illégitimes, ou arrivés au pouvoir par la fraude électorale. Les sommets « franco-africains » n’ont plus lieu d’être, ils doivent être remplacés par des sommets Europe-Afrique, ou les deux continent discuteraient sur un pieds d’égalité.
Il faut dans ce sens mettre fin à cette constitution de la 5° République, issue d’un coup d’état militaire lors de la guerre d’Algérie, et qui donne au président de la République des pouvoirs exorbitants. Dissoudre cette « cellule africaine » de l’Elysée qui permet, de De Gaulle à Mitterrand et Chirac, au président de mener sa politique africaine, d’engager des troupes, sans contrôle du Parlement, encore moins des citoyens.

La justice Internationale
Je partage les espoirs mis dans le combat pour une justice internationale, tout en insistant sur la nécessité qu’elle soit totalement indépendante des états, des raisons d’état, des pressions des puissants. Le contre-exemple n’est-il pas l’incapacité scandaleuse du TPI d’Arusha de juger les responsables du génocide rwandais, et dans sa récente décision de reporter à nouveau le jugement de Bagosora ? Pour autant, la mise sur pied de la Cour pénal internationale doit être l’occasion de mettre fin à une « exception française » : son exigence d’exclure pour 7 ans la compétence de la Cour pour les crimes qui seraient commis par ses nationaux ou sur son territoire, et sa lenteur à réviser son code pénal quant à la définition et à l’imprescriptibilité des crimes de génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre.

La justice sociale contre la loi du profit
Nous participons au mouvement de résistance à la mondialisation libérale, aux grands rassemblements de Seattle à Porto Alegre, mais aussi à Dakar en décembre 2000. Nous avons été de ceux qui luttaient, dès juillet 1989 lors du G7 à Paris, pour l’annulation de la dette, et participons aujourd’hui aux actions du collectif « Elf ne fera pas la loi en Afrique ». Aussi nous partageons avec vous les mêmes exigences de justice sociale à l’échelle mondiale :

- Je soutiens les conclusions du travail du Tribunal Permanent des peuples sur la Dette : il faut abolir la dette africaine, publique et privée, qui écrase les peuples d’Afrique, détruit leurs services publics. Geler les avoirs des régimes corrompus qui s’enrichissent sur le dos de leurs peuples et placent dans les banques européennes des revenus illicites. parfois aussi importants que la dette de leur pays. Instaurer une vraie taxe sur les mouvements de capitaux (taxe Tobin), interdire les paradis fiscaux et prendre dans un premier temps des mesures de rétorsion que vous proposez. Appliquer la tolérance-zéro au blanchiment des capitaux et à la délinquance financière, en commençant, en France, par les plus hauts responsables.
- Je tiens à souligner, en tant que militant de la défense du service public, du bien public contre la loi du profit, l’importance de cette question dans la politique africaine de la France. Il faut rendre aux peuples africains les services publics qui leur sont volés. En échange du rachat de parts de la dette, des groupes comme Vivendi, Bolloré, mais aussi France Telecom, EDF-GDF, SNCF, ont privatisé en les rachetant l’essentiel des services publics dans de nombreux pays africains. L’ ‘ ouverture au capital privé » des services publics en France, ça sert aussi à privatiser en Afrique !
- Les multinationales qui font la loi en Afrique, comme TotalFinaElf ou Bolloré, doivent être mises sous contrôle des citoyens, des élus, mais aussi des salariés ; leur refuser toute aide publique et appliquer des dispositions juridiques lorsque leurs activités conduisent à la violation des droits économiques, environnementaux. Une convergence s’est dessinée contre la multinationale TFE quand se sont rassemblés les africains victimes du pillage de leurs ressources, les salariés d’Elf qui luttaient pour leurs emplois, les Bretons qui défendaient leur environnement saccagé par le naufrage de l’Erika. Ce sont ces actions qui peuvent redonner sens aux solidarités sans frontières.
Quand à l’aide l’aide publique française au développement, elle doit être totalement refondée sur d’autres bases. L’essentiel est détourné, cet argent public revient dans les bénéfices d’entreprises françaises, et alimente la corruption de la classe politique française. Tout projet d’aide publique doit être soumis aux citoyens français en amont, tout projet doit recevoir l’aval et le contrôle des populations concernées en Afrique. La démocratie participative, c’est aussi permettre aux citoyens de contrôler l’utilisation des sommes des conseils régionaux, généraux, des communes, mais aussi de l’État, qui sont utilisées au nom de « l’aide au développement ». On trouvera des mines de générosité à condition que la démocratie et le contrôle citoyen prennent le pas sur l’opacité et la corruption. Dans ces conditions l’aide publique au développement doit être augmentée au bénéfice des peuples qui ont subi des siècles de pillage de leurs richesses.

L’ensemble de ces propositions sont en rupture avec les politiques passées et celles qui nous sont proposées dans cette élection. De Chirac, nous n’attendons rien, en fidèle héritier d’un système de domination néocoloniale organisé depuis 40 ans par les gaullistes. Il devrait être devant les juges plutôt que devant les électeurs, impliqué dans tant de scandales financiers qui ont souvent d’ailleurs une face africaine. Lionel Jospin n’a rien changé en 5 ans de gouvernements, malgré les promesses initiales d’un « inventaire » de la politique de Mitterrand, vite oublié. Et la Françafrique continue son bal.
Il faudra compter sur la mobilisation des consciences, la pression des actions de solidarité pour faire bouger l’opinion publique, pour faire bouger les choses. Avec le développement du formidable mouvement de résistance à la mondialisation, un espoir renaît, une nouvelle génération entre en action. Une chance est redonnée pour que l’Afrique ne soit pas oubliée dans ce combat, pour que renaisse une solidarité entre les peuples en France et en Afrique.



Déclaration d’Olivier Besancenot, 27 ans , facteur, candidat à l’élection présidentielle, pour la commémoration du génocide rwandais, le 7 avril 2002 place des Droits de l’Homme au Trocadéro à Paris.

Avril 1994. Je venais d’avoir 20 ans quand commençait le génocide au Rwanda.
Comme la majorité des jeunes de ma génération, j’avais appris de nos aînés, qui nous en avaient transmis la mémoire, la terrible leçon du génocide des juifs perpétré par la barbarie nazie. Tous nous avions la conviction que le devoir de mémoire maintiendrait la vigilance, pour que, plus jamais, ça ne se reproduise.
Il fallut se rendre à l’évidence, la vigilance avait été prise en défaut. Sur un autre continent, plus d’un million de femmes et d’hommes tombaient victimes d’une extermination planifiée par un régime totalitaire. Nous avons alors découvert la responsabilité de l’État Français qui, avant, pendant, et après le génocide, apporta son soutien diplomatique, militaire et financier à ceux qui le commettaient. Nous avons compris que les mêmes causes pouvant provoquer les mêmes effets, rien n’empéchait sa répétition. L’appétit de richesses, le mépris pour le sort des peuples, la destruction des services publics, l’accumulation d’une dette plongeant les peuples africains dans la pauvreté, fournissent le terreau sur lequel prolifèrent des régimes prêts à tout pour sauvegarder leur pouvoir et leurs privilèges. Puis nous avons retrouvé le même poison du racisme, la même manipulation des appartenances ethniques, lors des guerres civiles dans les deux Congo, en Côte d’Ivoire et ailleurs. Retrouvé aussi la même connivence entre ces régimes et leurs protecteurs, les dirigeants politiques et les grandes multinationales qui siègent ici, en France. Nous nous sommes remémoré la longue litanie des massacres coloniaux et post-coloniaux commis par une France impériale, et qui jalonnèrent les luttes de libération des peuples comme au Cameroun, à Madagascar, en Algérie.

Le Rwanda aurait dû ouvrir les yeux de ceux qui, en France, poursuivent depuis 40 ans une politique de domination en Afrique, sur le plan économique, militaire, politique, culturel. Il n’en a rien été. Le système de domination néo-colonial mis en place par De Gaulle est perpétué jusqu’à aujourd’hui par ses héritiers : pillage des ressources africaines, soutien aux pires dictatures, corruption ici et là-bas, vente d’armes alimentant des guerres sans fin. La gauche au gouvernement n’a rien changé, oubliant vite sa promesse de faire l’inventaire de la politique d’un Mitterrand, qui restera dans l’histoire le complice d’un régime rwandais qui commit l’innommable. Depuis 5 ans, aucun travail sérieux de mémoire, de vérité et de justice n’a été engagé, le Parlement n’a produit qu’une mission d’information dédouanant l’état français de toute responsabilité. (…) Et tous les régimes qui, au lieu de servir leurs peuples, servent d’abord les intérêts de TotalFinaElf ou de Bolloré, et qui pratiquent la fraude électorale à grande échelle, bénéficient toujours de la bienveillance de l’Elysée comme de celle de Matignon.
L’espoir renaît pourtant. A Seattle, à Gênes, à Porto Alegre, s’affirme un formidable mouvement de résistance contre la mondialisation capitaliste et l’oppression des peuples. La jeunesse est à la pointe de ce combat. Un mouvement qui ne doit pas oublier que la lutte contre la mondialisation libérale, quand elle se mène à Paris, passe par une remise en cause de la politique de la France et par la solidarité avec les peuples africains. Un mouvement qui s’étend au continent africain, dans les rassemblements, du Sénégal à l’Afrique du Sud ou au Zimbabwe, contre la dette, les guerres, pour la démocratie.
La nouvelle génération, en Afrique et en France, se doit de reprendre les combats de ceux qui nous ont précédés, de ceux qui le payèrent de leurs vies, comme Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Steve Biko, et des millions d’anonymes.
Dans cette élection présidentielle, j’essaie de faire entendre une voix différente, au milieu du silence consensuel qui entoure la politique africaine de la France (…) Avec vous, je m’engage à transmettre à la nouvelle génération la mémoire du génocide rwandais.
Comme le dit justement l’appel qui nous rassemble aujourd’hui, le champ de l’action politique est inséparable du combat pour la vie et l’humanité, ce sont un seul et même terrain de reconstruction de nos combats, tous ensemble.
Nous garderons la mémoire du passé pour construire un avenir de justice, d’égalité et de solidarité. Nos vies valent plus que leurs profits.

Le 7 avril 2002,
Olivier Besancenot, 27 ans, facteur, candidat de la LCR-« 100 % à gauche » à l’élection présidentielle.