9 décembre 2004

TRIBUNE - Côte-d’Ivoire : l’impérialisme et ses alliés...

Suite au texte adopté par le bureau politique de la LCR et publié dans « Rouge » le 25 novembre, nous publions une tribune de trois membres de sa direction nationale.

Alliot-Marie est bien obligée aujourd’hui de le reconnaître : début novembre, l’armée française a tiré sur des manifestants ivoiriens sans armes et fait plusieurs morts, elle s’est comportée en une armée d’occupation. Les faits démentent la version officielle disant que le seul objectif de l’opération « Licorne » était la sécurité des ressortissants. Chirac, lors du sommet de la Francophonie, a déclaré, lui, que la France « ne peut agir spontanément qu’en cas de légitime défense, ce qu’elle a fait une fois, et ce qui est une exception ». Une fois encore, mensonge. La seule légitime défense, c’est celle de la population contre la domination de la France, contre son armée qui est là pour garantir la mainmise de l’ancienne puissance coloniale sur les richesses du pays. Ce 10e Sommet de la francophonie, qui a réuni, au Burkina Faso, les 26 et 27 novembre une trentaine de chefs d’État, se tenait sur le thème « Un espace solidaire pour un développement durable ». Quel cynisme ! Le seul enjeu pour Chirac était de s’assurer le soutien à l’intervention militaire française. « La Côte-d’Ivoire est un beau pays que nous aimons tous et nous sommes tous très malheureux », a-t-il fait mine de compatir, pour obtenir l’essentiel, la caution de ses amis les dictateurs pour que la France et son armée fassent appliquer les accords de Marcoussis de janvier 2003. Ces accords ne pouvaient établir la paix en Côte-d’Ivoire puisqu’ils maintenaient la domination, le pillage néocolonial orchestré par la France. Entérinés par les instances internationales, précédés par l’échec de plusieurs tentatives de médiation africaine et suivis de deux accords tout aussi impuissants signés au Ghana en 2004, ils ne visent qu’à maintenir un semblant d’appareil d’État. Malgré la guerre civile, il faut que les affaires continuent. L’armée française, dont la présence consacre une véritable partition du pays, est là pour garantir l’exportation du cacao dont la Côte-d’Ivoire est le premier producteur mondial. À Gbagbo, la France impose un partage des pouvoirs. L’ami d’hier et dictateur de toujours, dont le parti, le Front populaire ivoirien (FPI) est membre de l’Internationale socialiste, n’est plus capable d’assurer l’ordre et, par démagogie, se propose d’ouvrir le marché ivoirien aux intérêts américains. Ses partisans au sud, enrôlés dans des milices, les « patriotes », ont continué à faire régner la terreur à Abidjan, proclamant au nom du principe de « l’ivoirité » une politique de purification ethnique insupportable. Leur démagogie anti-impérialiste s’appuie certes sur des sentiments légitimes de la population, la haine de l’oppression coloniale, mais ce n’est que pour mieux la dévoyer. Quant au désarmement des deux cliques se disputant le pouvoir, aux réformes de l’infâme code de la nationalité et du droit à la propriété rurale, prévus - et toujours non appliqués - dans les accords, ils ne sont que des mensonges du ministre des Affaires étrangères pour camoufler le rôle de gendarme de l’impérialisme français derrière un habillage démocratique. De toute évidence, la présence de l’armée française, loin d’aider à la paix, ne peut qu’attiser les tensions, exacerber les haines. Mais qui peut croire, comme le dit la déclaration du bureau politique publiée dans Rouge du 25 novembre, que « des troupes de l’Union africaine » pourraient « protéger toutes les populations », garantir un retour à la paix, voire créer les conditions d’une réelle démocratie ? Ces troupes viendraient suppléer aux carences de la France pour appliquer des accords imposées par... la France ! Au mieux, si l’on peut dire, des forces d’interposition africaines pourraient prendre une certaine indépendance vis-à-vis des intérêts français, mais ce ne pourrait être que pour se rapprocher des intérêts américains par le bais de l’Afrique du Sud. Une paix démocratique exige la fin de l’occupation militaire et du pillage impérialiste, à l’opposé du déploiement des armées qui servent à réguler les relations internationales. L’Europe a des responsabilités écrasantes vis-à-vis de l’Afrique, qu’elle a plongée dans une catastrophe tragique. Au lieu d’être porteuse de paix, de démocratie, cette Europe, née directement de l’Europe coloniale, engendre une situation inextricable pour les populations. Pour qu’elles puissent imposer leur solution démocratique discutée librement et garantie par leur contrôle effectif, les populations africaines ont besoin de l’aide des autres peuples et classes ouvrières. La force d’intervention des travailleurs et des peuples est la seule qui peut aider les populations, apporter la démocratie en en finissant avec le pillage impérialiste.
Valérie Héas, Galia Trépère, Yvan Lemaitre

Rouge 2004-12-09