4 mars 2005

Libérez le Togo

Après la Côte-d’Ivoire, le Togo. La France s’accroche à son pré carré africain. Une histoire de décolonisation qui n’en finit pas.

Ancienne colonie allemande sous mandat français pendant 40 ans, le Togo accéda à l’indépendance en 1960. L’Union nationale togolaise, dirigée par Sylvanus Olympio, remporta haut la main la première élection, organisée sous les auspices de l’ONU. Olympio voulait, comme d’autres dirigeants africains, promouvoir une dynamique africaine plutôt que néocoloniale. Jusqu’à envisager une union régionale avec le Bénin et le Nigeria et la sortie du franc CFA. Chercher à se dégager de la tutelle française était un crime impardonnable pour Foccart et les réseaux gaullistes de l’époque, qui choisiront Eyadema, un obscur sergent-chef tout juste rentré de la guerre d’Algérie où il avait été formé dans l’armée coloniale française. Avec quelques militaires et le soutien de l’ambassade de France, il assassinera de ses mains le président élu, et installera un régime qui ne pouvait être qu’une dictature. Ce pacte de sang durera 40 ans d’un règne aux multiples exactions, couvertes par la France. Eyadema sera un des pions essentiels de la politique française en Afrique. La Ve République, en mettant en place des régimes à sa botte, empêchera que les indépendances débouchent sur un développement démocratique et économique, avec de lourdes conséquences sur l’avenir du continent.
Indépendance confisquée
L’opposition, dirigée par Gilchrist Olympio, fils du président de l’indépendance assassiné par Eyadema, n’a jamais cessé de résister. Menacé par l’élan démocratique qui se développe en Afrique dans les années quatre-vingt-dix, le régime renforce la répression. Une garde prétorienne de 14 000 hommes, issue à 80 % de sa région au Nord, formée par la coopération militaire française, brise par la terreur la revendication démocratique du peuple togolais. Une soixantaine de conseillers militaires français encadrent l’armée. D’anciens gendarmes de l’Élysée organisent un système d’écoute des opposants. Amnesty International publiera plusieurs rapports accablants : torture systématique, exécutions extrajudiciaires. En 1998, malgré la falsification des listes électorales et la mécanique bien rôdée de la fraude, c’est un raz-de-marée pour le candidat de l’opposition, jusqu’à 80 % à Lomé. Le décompte des voix est interrompu, la commission électorale limogée, le siège de l’opposition saccagé, l’armée purgée. L’Union européenne refuse de reconnaître cette élection avortée. L’opposition manifeste aux cris de « Eyadema voleur, la France complice ». Le dictateur sera pourtant reçu, avec tous les égards, par Chirac lors du sommet franco-africain du Louvre en 1998. Amnesty lève un nouveau scandale et dénonce le soutien apporté aux forces de sécurité togolaises par l’État français : pendant la campagne présidentielle, des centaines de personnes ont été exécutées, des corps ont été retrouvés sur les plages du Togo et du Bénin, des pêcheurs ont ramené des cadavres flottant en mer, dont certains portaient des menottes : ce sont des avions et hélicoptères entretenus par la France qui furent utilisés pour jeter les corps en haute mer. Une affaire qui évoque les crimes de la junte en Argentine. Chirac dénoncera le rapport d’Amnesty comme une « opération de manipulation ».
C’est ce régime qui cherche à se survivre depuis le décès d’Eyadema père, le 5 février dernier, en imposant le fils, Faure Eyadema, avec le soutien de Chirac. Un fils qui était conseiller financier du père et ministre des Mines, de l’Équipement et des Télécommunications. Un poste clé où il a soldé l’industrie du phosphate et restructuré les services publics au bénéfice des multinationales.
L’argent des phosphates togolais, principale ressource du pays, n’a cessé d’alimenter les caisses noires de la Françafrique, via paradis fiscaux et comptes en Suisse. L’aide publique au développement, qui représentait 21 % du PIB en 1995, est massivement détournée. La fortune personnelle du dictateur (4,5 milliards de dollars) est trois fois supérieure à la dette du Togo (1,4 milliard de dollars). Cette dette, ce sont les travailleurs des mines et des cultures de rente (cacao, café et coton), qui la payent. 68 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, tandis que le dictateur et sa famille gèrent leur fortune et acquièrent de luxueux appartements dans les beaux quartiers parisiens.
Notre ami le dictateur
Eyadema était très convoité à Paris. Par la droite gaulliste, depuis toujours. De Chirac (« Un ami personnel ») à Pasqua. La Grande Loge nationale de France a ouvert dix loges au Togo. Mais Eyadema ne manquait pas de soutiens à gauche : Dumas, président du Conseil constitutionnel, dira d’Eyadema : « C’est un ami de la France de longue date, c’est un ami personnel. » Ou Rocard, venu en 1999 après les élections avortées, afficher son soutien à Eyadema : « Un ami personnel ». Encore en 2003, Fodé Sylla, ancien président de SOS-Racisme, député européen membre de la Gauche unitaire européenne, parti au Togo sur demande de l’Élysée pour observer les élections de 2003, s’indignait des critiques contre un régime « en voie de démocratisation »...
L’Union européenne a cessé sa coopération depuis 1993 pour grave déficit démocratique. Les classes dirigeantes des principaux pays africains, regroupées dans l’Union africaine et la Cedeao, en quête d’un développement continental et d’une stabilité régionale, s’opposent à Paris et réclament le départ du fils Eyadema avant toute élection.
Il serait temps qu’en France, la gauche et le mouvement altermondialiste se réveillent, se départissent d’un état d’esprit post-colonial laissant entendre que la domination de la République française serait un « moindre mal ». C’est en fait dans un double carcan qu’elle emprisonne les peuples soumis à sa domination : non seulement les recettes libérales du FMI, mais en plus le détournement des ressources au bénéfice des acteurs de la Françafrique, à Paris ou à Lomé, avec en prime une dictature sanglante. Il y a matière à dénoncer la politique de Chirac et cette « mondialisation » à la française. Pour aider le peuple togolais à accéder enfin à l’indépendance. Après, ce sera à lui de décider de son avenir.
Alain Mathieu

2005-03-03