28 avril 2005

CÔTE-D’IVOIRE - Après les accords de Pretoria

Du 3 au 6 avril 2005, les quatre principaux acteurs ivoiriens de la crise (Gbagbo, Bédié, Ouattara, Soro) se réunissaient à Pretoria, autour du président sud-africain, Tabo Mbeki.

Nommé médiateur de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en novembre 2004, le président sud-africain, Tabo Mbeki, aura réussi son pari diplomatique : des accords en dix-huit points qui relancent un processus de paix en Côte-d’Ivoire, pour permettre un règlement politique à la guerre (la tenue de l’élection présidentielle en octobre 2005). Les accords de Pretoria restent dans l’esprit de ceux de Limas-Marcoussis, signés en janvier 2003. Ils prévoient un plan de désarmement des milices et des soldats des forces nouvelles, la possibilité pour Ouattara de se présenter à l’élection présidentielle, le retour des ministres issus des Forces nouvelles (FN), avec un plan pour assurer leur sécurité à Abidjan.
Le retrait effectif des armes lourdes du front a commencé à Bouaké et à Yamoussoukro le jeudi 21 avril, pour se terminer le 24 avril. Les FN et les Fanci se livrent à un jeu de cache-cache pour ne pas rendre toutes les armes. Surtout que les miliciens pro-Gbagbo restent toujours prépositionnés dans les villes proches des lignes de front. Pour beaucoup, rendre les armes signifierait s’exposer sans défense à de nouvelles exactions.
Le 16 avril dernier, à Abobo-Baoulé, des familles enterraient 49 des leurs, manifestants tués le 25 mars 2004. Les forces de sécurité, appuyées par des blindés et des hélicoptères, avaient empêché un rassemblement du G7 à Abidjan, coalition des principaux partis d’opposition et de la rébellion. Trente-sept manifestants avaient été tués, selon les autorités, mais l’ONU a chiffré leur nombre à 120, l’opposition avançant un chiffre oscillant entre 300 et 500. Devant la fosse commune, un jeune homme racontait : « Quand tu as un nom musulman, un Koné, un Ouattara, un Keita, on t’accuse, on te dit c’est RDR, c’est “assaillant”. Mais nous, on n’a rien à voir avec les FN ! »
La question politique à l’origine de la guerre reste posée : le partage du pouvoir entre le FPI de Gbagbo et l’opposition. Et là, l’affrontement avec l’aile dure du FPI a déjà commencé sur le point 12 de l’accord de Pretoria, qui concerne la Commission électorale indépendante (CEI), le financement des partis politiques, le régime de la presse et de l’audiovisuel, la Commission nationale des droits de l’Homme, le foncier rural, la nationalité et l’identification.
Dans les coulisses du FPI, il se murmure en effet que la première dame, Simone Ehivet Gbagbo, présidente du groupe parlementaire, reste hostile à la reprise des lois à l’Assemblée.
Les jeunes patriotes, quant à eux, déclarent qu’ils suivront le président Gbagbo et qu’ils vont se concentrer sur le départ des troupes françaises. Les accords prévoient leur démantèlement. Se laisseront-ils désarmer, alors que pour certains la guerre a été un moyen facile de s’enrichir sur le dos des populations civiles désignées comme « non-ivoriennes », en les rackettant ou en confisquant leurs biens ? Le cocktail explosif de l’ivoirité, doctrine raciste qui vise à faire retomber les conséquences du pillage du pays par l’impérialisme et les élites ivoiriennes sur des « faux Ivoiriens » est toujours là.
Un conseiller de Gbagbo indiquait le 6 avril que Pretoria était « la première rencontre ivoirienne sans témoin non africain. C’était donc une rencontre fraternelle ». Force est de constater que là où toute négociation était bloquée, l’OUA a pu mettre tout le monde autour d’une table pour discuter.
Ces négociations se sont déroulées hors de la présence françafricaine, mais pas hors de son influence. Le 13 avril, Mbeki envoyait une lettre relative aux conditions d’éligibilité à la présidence ivoirienne. Le Quai d’Orsay recevait cette lettre cinq heures avant les destinataires ivoiriens. Les troupes françaises restent qualifiées de « troupes impartiales » par les accords de Pretoria, faisant fi des multiples intérêts impérialistes (cacao, téléphonie, transports, etc.) que Paris défend en Côte-d’Ivoire. Ainsi, ce sont les forces Licorne qui doivent contrôler avec l’ONU l’application du retrait des armes sur la ligne de front du 24 au 28 avril.
Françafrique Go Home
La France reste toujours un des principaux obstacles à la paix en Côte-d’Ivoire. Paris continue à affirmer que, « sans les troupes françaises, ce serait la guerre civile ». L’accord de Pretoria montre que l’Afrique de l’Ouest n’a pas besoin de la France pour trouver une solution à la crise. Comment croire que les 20 milliards de francs CFA (environ 30 millions d’euros) dépensés mensuellement pour l’opération Licorne, depuis deux ans et demi, le sont de manière désintéressée ? La France n’est pas « impartiale » dans le conflit. Pour la paix, le démantèlement des milices, la libre expression, la lutte contre le discours de « l’ivoirité » et la tenue d’élection libres et démocratiques en octobre 2005, les troupes françaises doivent quitter la Côte-d’Ivoire. Des troupes de l’OUA, non parties prenantes du conflit, ont plus de légitimité pour faire appliquer la paix que les troupes françaises complices de génocide au Rwanda en 1994. Quant aux révolutionnaires, ils doivent apporter tout leur soutien au mouvement social ivoirien, durement touché par les milices et la guerre, pour construire une vraie politique alternative en octobre 2005.
Mat Panthers

Rouge 2005-04-28