22 avril 2005

TOGO - La démocratie contre la Françafrique

Dimanche 24 avril, scrutin présidentiel à hauts risques au Togo. Le régime dictatorial, habitué des fraudes à répétition, garde la main sur l’organisation de l’élection, face à une opposition unie.

À la mort du dictateur Eyadema, le 5 février, un coup d’État de l’armée, soutenu par le gouvernement français, portait au pouvoir le fils du dictateur, Faure Gnassingbe Eyadema. La mobilisation du peuple togolais et les pressions internationales, notamment des pays de la région regroupés dans la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’ont contraint à démissionner. Mais son gouvernement reste en place pour préparer les élections auxquelles il est candidat, disposant de toutes les possibilités administratives et militaires d’une fraude gigantesque.
Le comité de soutien au peuple togolais a alerté les institutions et organisations internationales et françaises : « La date du 24 avril 2005, retenue pour la tenue des élections présidentielles, paraît très rapprochée pour mettre en œuvre toutes les opérations liées au scrutin, notamment la révision des listes électorales, la mise en place des commissions électorales locales, la distribution des cartes d’électeur, l’acheminement du matériel électoral, l’envoi en nombre suffisant d’observateurs internationaux, etc. Dans la situation actuelle, cette élection aura tous les attributs d’une nouvelle mascarade électorale, dont l’objectif est de faire succéder M. Faure Gnassingbé à son père et perpétuer le régime. Ce scénario comporte en lui-même tous les germes d’un dérapage conflictuel qui rendrait la situation des droits de l’Homme et des libertés encore plus préoccupante. Depuis les événements du 5 février 2005, ces droits ont été systématiquement bafoués et la situation des droits de l’Homme s’en est nettement détériorée : fermeture pendant plusieurs jours des médias privés indépendants ; menaces, intimidations et harcèlements à l’encontre de journalistes, de défenseurs des droits de l’Homme et de plusieurs membres de la société civile ; arrestations arbitraires d’étudiants et de membres de la société civile ; répressions brutales et meurtrières des différentes manifestations pacifiques et populaires en faveur de la démocratie et du retour à l’État de droit, notamment celles des 7, 12, 27 et 28 février 2005 ayant causé la mort d’au moins neuf civils, de nombreux blessés et des allégations de disparitions forcées ; allégations de viols et cas d’agressions sexuelles lors de ces événements ; exactions commises par les milices armées. »
Le principal leader de l’opposition, G. Olympio, en exil parce que sa vie est menacée, est empêché de se présenter en vertu d’un article de la Constitution qui l’interdit à tout Togolais résidant à l’étranger. L’opposition a cependant accepté de participer à l’élection, en se choisissant un candidat unique, Emmanuel Bob Akitani, le vainqueur réel de la présidentielle de 2003. Elle pense que, si elle obtient un minimum de contrôle du processus électoral, le raz-de-marée antidictatorial submergera la part de fraude inéluctable. Or, la Cedeao comme l’Union européenne, sur l’insistance de la France, ont renoncé à envoyer des observateurs qui auraient pu garantir la sécurité et la libre circulation de tous les candidats et des électeurs, la transparence dans la gestion du vote. A une semaine du scrutin, des affrontements entre partisans de l’opposition et milices du pouvoir ont fait six morts.
F. X. Vershave, de l’association Survie, explique ainsi la stratégie élyséenne : « Faire durer assez ce pouvoir caricatural pour lui permettre de faire, en position de force, de maigres propositions d’ouverture où s’engluera une partie des opposants. Et ainsi aboutir à une prolongation indéfinie de la dictature qui fait depuis quatre décennies le cauchemar des Togolais. L’acharnement avec lequel l’Élysée prolonge une Françafrique totalement archaïque va devenir de plus en plus coûteux pour tout le monde. La France doit comprendre que c’est le moment de tourner la page. Elle doit comprendre que “le sentiment antifrançais” qui se répand sur le continent africain correspond à une prise de conscience, par les peuples du continent, de la réalité du rôle de la France dans l’oppression dont ils sont victimes ; elle doit comprendre que les peuples africains veulent et doivent s’en affranchir ; elle doit comprendre qu’elle n’a plus que le temps d’échapper, peut-être, à la réprobation générale... Dans notre République monarchique, hélas, c’est Jacques Chirac qui dirige seul les relations franco-africaines - officielles et parallèles. »
Une gauche digne de ce nom devrait rompre le consensus politique qui laisse se perpétuer ce système néocolonial ayant dépassé la date de péremption, au risque de multiplier des situations comme celle de la Côte-d’Ivoire. À Paris, le Comité de soutien au peuple togolais, composé de militants de l’opposition togolaise, de militants du Collectif pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM), de militants de Survie et d’Afrique XXI, a pris une initiative : rassembler des personnalités, des partis et des syndicats, afin de constituer une délégation française qui serait présente, lors des élections, aux côtés des Togolais et des associations de la société civile. Les Verts et la LCR ont apporté leur soutien.
Alain Mathieu

2005-04-22