5 janvier 2006

TUNISIE - Faire reculer le pouvoir

La journée du 4 décembre 2005 a été marquée par trois événements qui résument la situation politique en Tunisie : le « congrès » des magistrats tunisiens, la répression à l’encontre d’une manifestation syndicale et la mise en place du Forum du 18 octobre, dans la foulée des grèves de la faim.

L’Association des magistrats tunisiens (AMT) a été le lieu où s’est cristallisée la contestation de la mainmise de la dictature sur l’institution judiciaire, et le canal par lequel s’est exprimée la volonté d’indépendance des juges. Une semaine après son élection, la nouvelle direction de l’AMT a présenté un projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature, et des statuts des magistrats. Dans la foulée, elle a rompu la sacro-sainte neutralité politique des magistrats en signant, le 2 mars, un communiqué dénonçant la présence massive de la police politique au sein du palais de justice. Elle s’insurgeait également contre l’agression d’une centaine d’avocats, venus défendre un de leurs confrères déféré devant le juge d’instruction pour avoir osé critiquer l’invitation d’Ariel Sharon en Tunisie, et qui sera finalement condamné à trois ans et demi de prison.
Auparavant, le pouvoir avait déjà fait son possible pour tuer dans l’œuf la rébellion des juges : mutations punitives de plusieurs membres du bureau exécutif et de la commission administrative de l’association, confiscation illégale du local de l’AMT, sabotage du fonctionnement de ses différentes structures, et enfin le « congrès » organisé par le pouvoir pour éliminer la direction de l’AMT.
Le second fait marquant cette journée du 4 décembre est l’agression, par la police politique, de quelques dizaines de cadres et dirigeants de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), lors de la marche commémorative de l’assassinat de F. Hachad, leader syndical et fondateur de l’UGTT, par le pouvoir colonial français en 1952.
Un tel acte est plutôt rare : c’est la deuxième fois qu’une telle agression est perpétrée contre le cortège syndical depuis la prise de fonction de Ben Ali en 1987. Il est toujours difficile de comprendre les raisons qui poussent un tel pouvoir à humilier un allié fidèle. C’est certainement la marque de son exaspération face, entre autres, à la multiplication des mouvements de grève, des occupations d’entreprises et aux luttes pour le paiement des arriérés de salaires.
Enfin, la réunion, autour des huit grévistes de la faim, de plusieurs composantes de l’opposition, a permis de tirer le bilan de la grève, et surtout de discuter des formes, des moyens et des objectifs des luttes futures. Cette grève est en soi assez significative de l’état de faiblesse de l’opposition face à la dictature. Une opposition qui n’a pas remporté une seule victoire face à Ben Ali, et qui ne cesse donc de reculer sur tous les terrains. En conséquence, elle se trouve réduite à cet « ultime recours pour faire entendre un cri d’alarme sur cette grave dégradation de l’état des libertés ».
Les grévistes de la faim ont décidé de se regrouper, islamistes compris, dans un front unique contre la dictature. À la fin de cette journée du 4 décembre, un Collectif du 18 octobre pour les droits et les libertés a été mis sur pied. Il est constitué par sept partis et mouvances politiques, dont le parti islamiste Ennahdha, ainsi que plusieurs associations et personnalités indépendantes, pour « la liberté d’expression et de presse, la liberté d’organisation des partis politiques et des associations, et la libération de tous les détenus politiques ».
Il a également été décidé la création du Forum du 18 octobre, dont l’objectif est de parvenir à un accord sur un « pacte démocratique », qui garantisse à l’ensemble des Tunisiens l’exercice effectif de leurs droits, de leurs libertés fondamentales, et la sauvegarde de leur dignité nationale.
De Tunis, Fathi Chamkhi

Rouge 2006-01-05