2 février 2006

Il y a 50 ans - Le Front républicain trahit

Le 1er février 1956, le socialiste Guy Mollet, soutenu par la coalition du Front républicain qui milite pour la paix en Algérie, prend les rênes du gouvernement français. Ce cabinet durera jusqu’en mai 1957. Mais, rapidement, Mollet se plie aux tenants du colonialisme. Le 12 mars, il fait voter les pouvoirs spéciaux au gouvernement, afin de rétablir l’ordre en Algérie. Récit d’une capitulation où le Parti socialiste aura reçu l’appui du Parti communiste.Début 1956, plus de 200 000 soldats français sont mobilisés en Algérie. Le 20 août 1955, l’insurrection des indépendantistes dans le Nord-Constantinois en-gendre une terrible répression de la part du gouvernement colonial. Des jeunes Français, rappelés sous les drapeaux pour terminer leur service militaire, se rebellent. Les élections législatives du 2 janvier 1956 sont donc dominées par la question algérienne.

La paix en Algérie est le leitmotiv électoral du Front républicain. Cette coalition est née en décembre 1955, lors d’une réunion dans l’appartement parisien de Gaston Defferre, à laquelle assistent Pierre Mendès France (aile gauche du Parti radical), Jean-Jacques Servan-Schreiber, le journaliste de L’Express, et Guy Mollet, le secrétaire général de la SFIO1. Outre le Parti radical et la SFIO, le Front républicain rassemble le petit groupe de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) de François Mitterrand et les républicains sociaux (ce qui reste des gaullistes), parmi lesquels Jacques Chaban-Delmas. La coalition veut en finir avec « une guerre imbécile et sans issue », pour reprendre les termes de Mollet.
Engrenage
Les résultats des élections du 2 janvier témoignent de la polarisation à l’œuvre dans le pays. Le centre et la droite traditionnelle perdent des voix. L’extrême droite progresse : le mouvement de Poujade, avec le slogan « Sortez les sortants », enlève 52 des 595 sièges de l’Assemblée nationale (Le Pen est alors le benjamin des députés). Enfin, la gauche se renforce : le PCF a 146 députés2 (26% des voix) et la SFIO 89 (15% des suffrages), chacun gagnant 500 000 voix. Le Front républicain obtient 185 des 595 sièges de l’Assemblée nationale. Si on y ajoute les sièges du PCF, une large majorité se dégage en faveur de la paix en Algérie.
Guy Mollet devient président du Conseil3 en février. Refusant les offres de participation gouvernementale du centre comme celles du PCF4, un gouvernement de Front républicain est formé avec le soutien des communistes. Prenant fin en mai 1957, ce sera le plus long de la IVe République.
Dès la mise en place du gouvernement, le ton change. Au congrès socialiste, le 14 janvier, Guy Mollet laisse prévoir une inflexion : « J’ai étudié le problème depuis quelques jours [sic] : il est beaucoup plus complexe que certains ne l’imaginent. » Et le 6 février, bombardé de tomates lors d’une visite en Algérie, Guy Mollet abandonne toute velléité de réforme et capitule sans combat devant ceux que son propre journal, Le Populaire, présente le jour même comme « les hystériques du colonialisme ». Le 10, Guy Mollet confirme qu’il défend désormais l’impérialisme français en Algérie : « La France restera présente en Algérie et les liens entre la France et l’Algérie sont indissolubles. » Puis, lors d’un débat à l’Assemblée nationale : « Nous avons en Algérie le cinquième de l’armée française, il est possible de faire plus et mieux. »
Le 8 mars, les Algériens manifestent à Paris pour que les pouvoirs spéciaux soient repoussés. Le 12, ils sont votés, y compris par les élus du PCF : « Le gouvernement disposera en Algérie des pouvoirs les plus étendus pour prendre toute mesure exceptionnelle commandée par les circonstances en vue du rétablissement de l’ordre, de la protection du territoire. » En avril, 70 000 réservistes sont rappelés. En mai, on en compte 50 000. Une deuxième vague de mobilisation impressionnante déferle, mais les états-majors nationaux de la gauche verrouillent. En juillet, 450 000 soldats font la guerre en Algérie.
Et l’engrenage continue : Robert Lacoste, ancien responsable syndical des PTT devenu ministre-résident d’Alger, passe la main aux militaires et aux ultras. Les atteintes aux libertés (saisies de journaux, interdictions de manifestations), la répression aveugle, la torture, les arrestations sans jugement se multiplient. Dès mai, le commandement militaire, dans le cadre de l’état d’urgence, prend en main les tâches de police et les services administratifs. En juillet, un décret gouvernemental donne compétence judiciaire aux officiers. Viennent ensuite l’arraisonnement de l’avion transportant Ahmed Ben Bella et d’autres chefs du FLN, les « camps de regroupement », le bombardement de Suez par les forces franco-anglo-israéliennes, après la nationalisation du canal par le président égyptien Nasser, accusé de téléguider en sous-main les Algériens, etc.
Au moment où il vote les pouvoirs spéciaux, le PCF explique qu’il ne veut pas sacrifier le tout pour la partie. La partie, c’est l’Algérie. Le tout ? L’unité d’abord : « Nous considérons que ce qui compte, avant tout, c’est le développement de l’unité d’action ouvrière et populaire et nous sommes convaincus qu’elle parviendra à imposer rapidement le cessez-le-feu », déclare Jacques Duclos, président du groupe parlementaire communiste à l’Assemblée. L’antifascisme ensuite : le PCF dit soutenir le gouvernement pour ne pas mêler ses voix à l’opposition d’extrême droite (ce sera chose faite en mai 1957).
Et puis, le tout, ce sont les impératifs de politique extérieure de « la patrie du socialisme » , l’URSS. D’autant que les socialistes font une tournée en URSS, où « les ministres soviétiques ont exprimé l’espoir que [...] le gouvernement français saurait donner à ce problème si important [l’Algérie] la solution appropriée dans l’esprit de notre époque et dans l’intérêt des peuples . » L’URSS a d’autres préoccupations : l’heure est à la lutte contre les « revanchards allemands » qui veulent réarmer. Priorité au désarmement allemand. Ce qui permet, d’ailleurs, de concilier patriotisme soviétique et patriotisme français.
Complicité du PCF
Le 9 novembre 1955, L’Humanité a déjà expliqué que la politique coloniale est « étroitement liée à la politique de réarmement du militarisme allemand. Elle tend à faciliter l’implantation de l’impérialisme germanique sur le sol africain ». Pour le PCF, qui s’appuie sur le sentiment « antiboche », si la France quitte l’Algérie, l’Allemagne la remplacera... Depuis le Front populaire, le PCF a abandonné la revendication d’indépendance pour l’Algérie. En 1945, il a condamné l’insurrection de Sétif et, en novembre 1954, « le recours à des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes s’ils ne sont fomentés par eux ». Le PCF défend ce qui s’appelle alors l’Union française, empire colonial qui ne résistera pas au vent de la décolonisation.
Jean-Pierre Debourdeau
1. Section française de l’Internationale ouvrière, équivalent du Parti socialiste actuel.
2. À quoi s’ajoutent quatre progressistes apparentés.
3. Équivalent du Premier ministre.
4. Notre courant politique se battait, lui, pour un gouvernement PCF-SFIO, appuyé sur des comités de base unitaires, et appliquant un programme anticapitaliste et anti-impérialiste : retrait d’Algérie du contingent et indépendance.

2006-02-02