20 octobre 2005

IMMIGRATION : Ouvriers immigrés, « Rompre la loi du silence »

En juillet 2005, pour la première fois, des saisonniers agricoles sous contrat OMI1 se sont mis en grève dans les plus grandes exploitations de la plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône). Un des principaux animateurs du Collectif de défense des travailleurs saisonniers (Codetras), Denis Natanelic, a répondu à nos questions.

Quel est le statut des contrats dits OMI ?

Denis Natanelic - Cette filière officielle et légale permet, à la grande satisfaction du lobby agricole, l’importation d’une main-d’œuvre étrangère à deux conditions : que le contrat de travail n’excède pas huit mois et que les travailleurs soient originaires du Maroc, de Tunisie ou de Pologne. Surexploités, hébergés dans des conditions indécentes, continuellement soumis au chantage d’un non-renouvellement de contrat pour l’année suivante, et renvoyés dans leur pays dès la fin des travaux, ils sont 4 000 chaque année, dans les Bouches-du-Rhône, à être sacrifiés sur l’autel du profit et de l’agriculture compétitive.

Peux-tu nous rappeler les origines et le déroulement de la mobilisation ?

D. Natanelic - Face au mépris affiché par leur employeur (arriérés de salaires dus depuis deux ans, hébergement dans des taudis), les 240 saisonniers de la Sedac-Cossure ont collectivement pris la décision de se mettre en grève en pleine saison de ramassage des fruits et ce, en toute connaissance du risque de ne plus retrouver de travail l’année suivante, et donc de rester au Maroc ou en Tunisie. L’union locale CGT de Fos, qui avait mené au printemps une action de grève sur l’exploitation voisine de Valignet, a très rapidement organisé la lutte. L’implication du Codetras a été totale dans le soutien et la médiatisation de la lutte des saisonniers importante, contribuant largement à la réussite du rassemblement du dimanche 17 juillet, qui a réuni plus de 800 personnes sur le lieu du conflit. En une semaine, la grève a débouché sur l’engagement du préfet de reloger convenablement les ouvriers (grâce aux moyens de l’État), de s’assurer du paiement par l’employeur de ses dettes et « d’une certaine garantie d’embauche » des grévistes pour l’année suivante.

Quel a été le rôle du Codetras ?

D. Natanelic - Le Codetras a été constitué en 2002 par des militants associatifs et des syndicalistes désireux de briser le silence sur les conditions d’oppression et d’exploitation des travailleurs saisonniers. Par la richesse des structures qui le compose (Asti, Attac, LDH, FSU 13, Confédération paysanne, FGA CFDT, Cimade), et par la diversité de ses militants (syndicalistes, travailleurs sociaux, juristes...), il représente, au-delà d’une sensibilisation et d’une médiatisation de la question des saisonniers, une force de mobilisation, d’interpellation des pouvoirs publics et de soutien aux saisonniers dans leur lutte pour leurs droits.

On peut supposer que les actions menées par le collectif depuis trois ans ont dû peser dans la décision de grève prise par les saisonniers. Le fait que certains saisonniers aient pu, ces dernières années, rompre la loi du silence pour dénoncer leurs conditions d’exploitation, qu’ils aient pu obtenir en partie réparation, et que les médias aient commencé à s’intéresser à ces personnes jusque-là totalement invisibles (bien que présentes depuis plus de trente ans) a certainement favorisé le passage à une expression collective.

Quelles sont pour toi les perspectives pour la poursuite de l’action ?

D. Natanelic - Continuer de dénoncer la situation des ouvriers agricoles étrangers et populariser leurs luttes, notamment par la diffusion du livre noir sur les travailleurs étrangers dans l’agriculture des Bouches-du-Rhône et la tenue de réunions en présence de saisonniers ayant mené la lutte. Continuer à accompagner les ouvriers qui veulent obtenir le respect du droit, mobiliser comme nous le faisons ces jours-ci sur le gourbi de Berre (où des ouvriers, dont les demandes de relogement piétinent depuis plusieurs années, sont sous le coup d’une procédure d’expulsion.)

Propos recueillis par nos correspondants

1. OMI : Office des migrations internationales, qui vient récemment d’être rebaptisé Anaem.

Rouge 2005-10-20